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emporte pêle-mêle, avec un entrain superbe, mille beautés et quelques tares. Au détail de l’œuvre, on observe, disons-le tout bonnement, des fautes et des pauvretés de langage, les néologismes les plus fâcheux et, bien souvent, l’inconvénient de tant de fougue, promptitude et fatras du vocabulaire, une syntaxe de hasard. Les beautés, par leur abondance et par leur déploiement rapide, couvrent tout cela et le voilent…


Le passeur d’eau, les mains aux rames,
A contre-flot, depuis longtemps,
Luttait, un roseau vert entre les dents.
Mais celle, hélas ! qui le hélait
Au-delà des vagues, là-bas,
Toujours plus loin, par au-delà des values,
Parmi les brumes reculait…


Casse une rame. La voix qui hèle est plus implorante. De la seule rame qui reste, le [passeur d’eau redouble d’énergie. Le gouvernail casse. Le passeur d’eau, « comme quelqu’un d’airain, dans la tempête, » bâties flots et, de la rame unique, les secoue ; il a les yeux fixés au loin, d’où vient l’appel. Et la rame dernière casse ; le courant la chasse comme une paille vers la mer…


Le passeur d’eau, les bras tombans,
S’affaissa morne, sur son banc,
Les reins rompus de vains efforts.
Un choc heurta sa barque, à la dérive ;
Il regarda, derrière lui, la rive :
Il n’avait pas quitté le bord…


Et c’est la ruine de son ardeur…


Mais le tenace et vieux passeur
Garda tout de même, pour Dieu sait quand,
Le roseau vert entre ses dents.


Qu’on ne s’avise pas de traduire cette allégorie comme un rébus. A peine convient même à une telle image le nom d’allégorie ; non plus qu’à l’image du Fossoyeur, qui enterre les cercueils blancs de ses douleurs, les cercueils rouges de ses crimes et, sur tout son passé de misère, plante des croix ; non plus qu’à l’image des Pêcheurs qui, dans l’eau vague, jettent leurs filets, ramènent du hasard, pochent obstinément du hasard, et négligent de regarder au firmament les étoiles ; et non plus qu’à l’image des Cordiers, qui allongent le chanvre où glissent les reflets de la lumière et qui semblent tirera eux les