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La fantasmagorie se développe et se multiplie dans le paysage, où les Nombres mènent leur danse, où défilent les dieux sinistrés et aux yeux de loups, et où passe l’Amour avec son cortège de lions enchainés, et où se traînent les funérailles de la lune. Que cette vision soit incohérente, absurde, le poète ne le nie pas : il le dit et il le proclame. Et il proclame que la simple raison, mise en contact avec tout le mystère d’ici-bas, se heurte à l’absurdité. Il a trouvé, pour mettre en lumière sa doctrine ou, mieux, sa vive impression, les images les plus saisissantes, neuves et belles, un luxe prodigieux de couleurs, de lueurs, des musiques verbales qu’on n’avait pas encore entendues, un art qui rappelle celui de Rembrandt.

Les Soirs, les Débâcles et les Flambeaux noirs sont une trilogie de douleur et qui aboutit à la conclusion, mal résignée, mais forcenée, du désespoir :


… Sois ton bourreau toi-même,
N’abandonne l’amour de te martyriser
A personne, jamais. Donne ton seul baiser
Au désespoir !


Ces poèmes sont un cauchemar. Soudainement, au cours du recueil suivant, Les Apparus dans mes chemins, où continuent d’abord les splendides hallucinations, le cauchemar se dissipe. Et, tout comme un coup de vent chasse les nuées d’orage, c’est, dans le ciel du songe, un coup fortuit : c’est un miraculeux saint Georges qui intervient, — « en bel ambassadeur — du pays blanc, illuminé de marbres — où, dans les parcs, au bord des mers, sur l’arbre — de la Bonté, suavement croît la douceur. » Les épouvantes sont en fuite, le paysage s’apaise, les objets retournent à leur place, reprennent leur pose anodine. Il y a du soleil sur la plaine ; il y a de la sérénité dans l’air.

C’est une accalmie ? Elle se plonge dans l’œuvre de Verhaeren, illumine beaucoup de ses poèmes, illumine bien joliment ses Heures claires :


Voici la maison douce et son pignon léger,
Et le jardin et le verger.
Voici le banc sous les pommiers
D’où s’effeuille le printemps blanc,
A pétales frôlans et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Planant, ainsi que des présages,
Dans le ciel clair du paysage…