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Il dort dans ce « lambeau de patrie. » La mort n’a pas attendu qu’on pût le porter jusqu’à son village.

Saint-Amand, son village, il l’a chanté, dans Les tendresses premières. De grands bateaux, empanachés de voiles et de vent, passaient sur le fleuve. Il y avait, pour l’animation, le fleuve et l’usine avec son bruit, son tumulte. Par ailleurs, le village était quiet. Quiète, la maison ; le jardin, beau l’été : des fleurs d’un côté, des étangs de l’autre ; et de hauts peupliers, un espalier de vignes, une volière. Les gens du pays : le passeur d’eau, le maçon, le sonneur, l’échevin, le lanternier, ceux qu’on voit quotidiennement. On les connaît ; et, le soir, quand les contrevens sont fermés, leurs pas dans la rue, on les reconnaît. Il y a aussi ceux dont les pas, la nuit, font peur. Et il y a, pour la sécurité, les parens. Pour la gaieté, l’émoi, pour la rivalité parfois, il y a une petite amie : seulement, elle meurt, et l’on garde son image de souvenir dans un livre de messe. Pour la fierté du village, il y a son clocher. Les jours démarché, les gens des villages voisins, les gens d’Opdorp ou de Baesrode, s’il leur chantait de vanter leurs clochers à eux par-dessus le clocher de Saint-Amand, les querelles étaient chaudes. Et le petit garçon s’y mêlait avec entrain. Mais, une nuit, le foudre tomba sur l’église ; le clocher brûla, s’effondra dans le cimetière. Et ce furent trois ans, pour le relever : trois ans qu’un demi-siècle après le poète se rappelait avec chagrin, ces trois ans d’une blessure faite à son amour et à son orgueil. L’enfant qu’il était ? Un « vaurien doux, » raconte-t-il ; ami des polissons, leur camarade pour marauder dans les vergers ; et batailleur ; et curieux, sans cesse à baguenauder autour des corroyeurs et forgerons, charpentiers et calfats ; l’imagination tentée par les voyages et aventures que lui évêque le passage des navires. Il parle de son « enfance angoissée. » On la devine ainsi, tout à la fois tranquille d’apparence, alarmée souvent, bouleversée par des peurs étranges, par des hasards d’allure inquiétante et par une sorte de propension singulière à voir les choses tragiquement.

Verhaeren, à quatorze ans, fut mis au collège Sainte-Barbe, de Gand. C’est un collège de jésuites, qui voulaient bien qu’on fît des vers, si l’on était poète ou non, mais en latin. Verhaeren, un peu plus tard, étudie à l’université catholique de Louvain… « Louvain, je t’ai aimée avec mon cœur naïf et fervent de jeune homme que l’étude attirait vers la vie et préparait à l’art. D’autres croyances que celles que tu gardes, d’autres idées que celles que tu éclaires, d’autres émotions que celles que tu éprouves ont pu traverser et