Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

difficiles, où j’estime que je serais l’homme de l’emploi. Pourquoi se refuse-t-on à me les confier ? Ne serait-ce point parce qu’au fond vous avez, vous, Français, le préjugé tenace, la superstition indéracinable de l’ « officiel ? » Et certes, je suis si peu un officiel que j’en suis précisément le contraire. Mais comment ne réfléchit-on pas que, si j’en étais un, au lieu de me fatiguer les poumons à crier : Présent ! à la France, je n’aurais, avec toute l’Amérique officielle, d’autre souci que de me tapir soigneusement, un doigt sur les lèvres, derrière ma neutralité ? Oui, je serais un neutre, un horrible neutre !… Il est vrai qu’alors M. Wilson eût été capable de me déléguer officiellement vers vous, comme il s’en est tout récemment avisé pour ce brave colonel House, — un colonel de troupes électorales, — dont on a pu dire avec juste raison que ce n’était pas toujours une open house[1]. Je crains fort, en effet, que ce messager taciturne n’ait parcouru l’Europe, les oreilles encore plus fermées que la bouche. A l’Allemagne, il a eu l’illusion d’avoir compris quelque chose parce qu’on s’y était donné le mot pour lui seriner au pianola le grand leitmotiv tout fait ad itsum neutrorum. Mais à la France, Seigneur Dieu !… Il l’a traversée en sourd-muet. Lorsque je le vis à Paris, je lui demandai : « Eh bien ! colonel, des résultats intéressans ? — Là-bas, beaucoup ; ici rien. — Parlez-vous le français ? — Pas un mot. — Hum ! en ce cas, ça n’est pas étonnant… Mais accompagnez-moi : je vous mènerai à des Français diversement qualifiés qui vous fourniront, en anglais, tous les renseignemens souhaitables. — Impossible : j’ai rendez-vous avec M. Delcassé. — Ah ! Et comment causerez-vous avec lui ? Par le canal d’un interprète ? — Oui, mon secrétaire. » Ainsi M. House aura transmis à M. Wilson ce que lui aura transmis un secrétaire à qui M. Delcassé se sera nécessairement gardé de faire confidence qui vaille. Si, après ça, l’Amérique ne sait pas à quoi s’en tenir sur la France !… Avouez que c’est navrant… J’entends bien qu’il y a vous autres, les conférenciers français. Encore serait-il prudent de ne vous expédier point avant qu’on vous appelle. Nous nous méfions de la marchandise offerte, a fortiori de la marchandise imposée. On ne nous en a que trop envoyé, de ces conférenciers à la grosse, et, qui pis est, tous

  1. House, maison : open house, maison ouverte.