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en quelque sorte, farouche avec laquelle les milieux artistiques américains ont, dès le premier jour et presque sans exception, épousé la cause de la France, je l’ai recueilli à Cincinnati, au plus épais d’une atmosphère ultragermanisée, dans une ville dont un des quartiers principaux, parce que situé sur l’autre bord d’un canal désaffecté, s’intitule, pour que nul ne s’y trompe, Over the Rhine. J’y avais fait, au cours d’un précédent passage, la connaissance du vieux peintre Farny, le probe et sincère imagier de la vie indienne. Lorsque j’éprouvais le besoin de me décrasser la vue des horreurs allemandes érigées dans tous les jardins publics en l’honneur de je ne sais quels généraux ou quels pédagogues du véritable outre-Rhin, je montais à son lumineux cottage, perché sur la verte colline de Clifton, d’où le regard embrassait, vers le Sud, les courbes harmonieuses de l’Ohio, comparables pour la noblesse de leurs lignes à celles de la Loire en amont de Saint-Florent.

Je le trouvais, à l’ordinaire, en compagnie de son familier, M. de G…, un de nos plus aimables compatriotes, ancien sous-officier de Saumur et légitimiste impénitent, émigré aux États-Unis pour y enseigner les élégances de la haute voltige française. Farny, lui, avait eu pour maîtres d’équitation les premiers cavaliers du monde, les Peaux-Rouges, avec lesquels il avait, tout jeune, couru la sauvage aventure dans les Prairies encore intactes du Middle West et dont il avait, par la suite, voué son talent à retracer la mélancolique épopée. Tout en m’exhibant ses nouvelles toiles, il me les commentait, moitié en anglais, moitié dans un français un peu gauche, mais d’autant plus expressif. Et c’étaient de puissantes évocations des scènes du désert, telles qu’il lui avait été donné de les contempler, aux jours lointains où le désert, peuplé de ses seules tribus errantes, n’avait quasi rien abdiqué de son mystère, de sa poésie, de son parfum. Il abondait en récits d’une majesté unique sur les chefs indiens, ces « gentilshommes-nés » dont il s’enorgueillissait d’avoir partagé la tente ; il me racontait leurs actions, leurs discours, et quels longs souvenirs, mêlés de tendresse et de vénération, avaient laissés parmi eux les rapports de leurs ancêtres avec les Ixacas, autrement dit les Français. Sur quoi il était rare qu’il manquât de s’exclamer :

— Quand donc l’écrira-t-on enfin, la prestigieuse histoire de vos grands pionniers du XVIIe siècle en Amérique ? C’est en