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professeurs ad hoc, sur l’art germanique, sur son histoire, sur ses aspirations. Le Dr Kuno Francke, dûment installé à Harvard, avait pour fonction de présenter aux municipalités des villes ou aux administrations des musées les dons artistiques insidieusement prodigués par Sa Majesté impériale. C’est ainsi que furent érigées la statue de Steuben, à Washington, et la fontaine de la Lorelei, à New-York. En vue d’élargir la propagande, la firme Hanfstängel, de Munich, eut ordre de répandre sur l’Amérique un déluge de photographies, de photogravures et de reproductions en couleur des plus célèbres tableaux allemands. Un des fils de la maison, Fritz Hanfstängel, vint, à cet effet, prendre ses grades à Harvard, afin de se donner les dehors d’une pseudo-naturalisation américaine, puis ouvrit à New-York, sur la Cinquième Avenue, une officine destinée à faciliter l’écoulement en grand des produits paternels.

« Entre temps, il n’était pas de politesses dont on ne comblât nos artistes, ceux surtout qui, ayant étudié sous des maîtres français, travaillaient le plus jalousement à inculquer aux Etats-Unis les disciplines esthétiques de la France. J’étais de ce nombre et le criais volontiers sur les toits. A ce titre, je reçus un beau matin, dans mon atelier, la visite du Dr Paul Clemen. Ancien précepteur, vous ne l’ignorez pas, du trop fameux Kronprinz, il commença par m’annoncer que son auguste élève désirait acquérir une de mes toiles. Je lui montrai celles qui pendaient aux murs. Tout en ayant l’air de les examiner, il me demanda brusquement si j’accepterais de me rendre à Berlin pour m’entretenir avec l’Empereur de deux sujets qui le préoccupaient, parait-il, au plus haut degré, à savoir : 1° Pourquoi les Américains ne concevaient l’étude de l’art qu’en France ; 2° Pourquoi les œuvres d’art allemandes ne trouvaient pas à se vendre aux Etats-Unis. L’occasion était belle de revoir l’Europe et d’approcher une de ses figures les plus originales : je me laissai tenter. En entrant chez Guillaume II, je me flattais, je l’avoue, que j’avais quelque chose à lui apprendre sur les conditions de l’art en Amérique. Pure illusion dont je fus promptement désabusé. On ne m’eut pas plutôt introduit dans son cabinet, que l’Empereur se faisait apporter par le Geheimrath Schulze un volumineux dossier dont il se mit à feuilleter les pages. « Voyons, dit-il, si mes informations sont exactes. » Elles l’étaient, je vous prie de le croire ! Le dossier, outre une