Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auteur était alors en train de démontrer aux Américains, avec d’irréfutables argumens à l’appui, que, sans le bienfait de la civilisation germanique, importée sur leurs bords par des légions d’émigrans, ils seraient encore les derniers des sauvages, des espèces de sous-Iroquois. Les Américains sont, à l’ordinaire, bons enfans. Habitués au foisonnement des idées abracadabrantes, dans un pays où l’excessif est fréquemment la règle et où la liberté de la presse est illimitée, doués, d’ailleurs, d’un large sens de l’humour et plus attentifs aux réalités qu’aux abstractions, il n’est généralement pas dans leurs mœurs de prendre au tragique la chose imprimée. Tout de même, qu’on les revendiquât pour des civilisés à l’allemande, pour des pupilles de la race qui avait égorgé la Belgique, brûlé Louvain, bombardé la cathédrale de Reims, torpillé la Lusitania, — la prétention leur sembla plutôt exorbitante. Jusques à quand tolérerait-on qu’un Munsterberg s’abritât derrière l’hospitalité américaine pour diffamer l’Amérique ? Comme on posait la question au président Lowell, il aurait, parait-il, répondu : « Harvard est la maison de la liberté, et toutes les opinions y sont chez elles, celles du professeur Munsterberg comme celles de ses collègues. Loin de m’opposer à ce qu’il les affiche, je déplorerais, au contraire, qu’il les tût. Le Kaiser n’a-t-il pas dit de lui qu’il valait une armée ? Or, il en vaut une, en effet, mais pour les Alliés. »

Que le propos soit authentique ou non, ce qui est certain, c’est qu’en cédant aux sollicitations pressantes qui l’adjuraient d’imposer silence au professeur Munsterberg, le président Lowell se fût bénévolement privé du meilleur moyen qu’il avait à sa disposition d’accroître le prestige de la France à Harvard. Nous avions déjà, dans cette citadelle de la pensée américaine, de précieuses intelligences parmi lesquelles il me suffira d’énumérer un Royce, un Grandgent, un Barrett-Wendell, un Babbitt, un Coolidge, un Robinson, un Bliss Perry, un Schofield : aujourd’hui, nous y sommes inattaquables. Nous y avons grandi de toute la diminution morale de l’Allemagne. On y goûtait naguère notre génie : on y comprend, on y exalte à présent notre âme. A la lueur des théories de M. Munsterberg et de ses pareils, les plus aveugles ont vu, comme dans une sinistre clarté d’incendie, ce qu’il adviendrait d’un univers où cette âme ne serait plus.