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technique de graveur, Rembrandt se débridait tout à coup dans quelque farce énorme, comme le Ganymède, le Moine dans le blé, le Lit à la Française et cette Calypso, où Verhaeren voit, bien à tort, un « excès de vice. » Car dans ses croquis les plus licencieux, il y a, au-delà de l’ardeur fébrile des attitudes, une profondeur d’expression qui s’impose et qui laisse comme une inquiétude. Il semble qu’il soit emporté, soudain, par ce vent de folie qui souffle au temps des kermesses sur les foules des Pays-Bas et qui les cueille, au sortir du proche, pour en faire ces ruées bestiales étudiées par Jan Steen, Jordaens ou Rubens.

Il aurait pu prendre la mer et vivre une odyssée merveilleuse, au cœur de cet Orient fabuleux, qui le hanta toute sa vie et dont on parlait constamment sur les quais d’Amsterdam, peuplés de Syriens, de Persans, de Malais et d’Arabes, au temps des grandes découvertes géographiques des Hollandais, à la recherche de cet Ophir du roi Salomon et du Pays de l’or, parmi les îles du Pacifique. Mais n’eût-il pas perdu en profondeur ce qu’il aurait gagné en exactitude et en étendue ? Au lieu de courir le monde et la belle aventure des Descobridors, il descendit toujours plus avant vers le tréfonds de l’inexprimable, et le champ de ses découvertes est aussi vaste, en ce domaine, que celui des marins essaimés sur les mers. Pour explorer les sources mêmes du pathétique et les mystères de l’émotion, il scrutait devant un miroir ses propres expressions, son regard, ses attitudes ; puis de ses recherches passionnées, il tirait l’accent inconnu du regard de son Saint Jérôme inspiré par l’Ange, l’angoisse inexprimable des Pèlerins d’Emmaüs, reconnaissant le Revenant divin.

Mais ces recherches n’allaient pas sans hésitations, ni sacrifices. Rien que pour la création du type de Jésus dans la Pièce aux Cent Florins, on peut décompter avec de la patience et de l’attention, sur une épreuve du premier état, jusqu’à huit ou dix variantes. Presque toutes les pièces qui ne sont pas de simples croquis, ont subi des remaniemens considérables, en dehors de ceux enregistrés par les états[1].

Parmi les calomnies les plus méprisables dont on accabla la mémoire de Rembrandt, rien n’est plus odieux que cette fable

  1. On désigne sous ce mot, en gravure, les différentes épreuves, tirées en petit nombre, en cours d’exécution, par l’artiste pour se renseigner sur la marche de son travail.