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d’un petit marchand » dont parlait, ici même, Fromentin, dans ses lettres datées de Hollande ? Quelles sommes considérables ! quelles heures de patience et d’émotion n’avait-il pas dépensées, pour satisfaire sa passion de la gravure et cette « inlassable curiosité, » dont l’aveu, sous la plume du tabellion enregistrant sa ruine, est l’un des plus profonds hommages que Rembrandt ait reçus de son temps ! L’inlassable curiosité d’un homme, n’est-ce pas l’indice d’une activité cérébrale admirable, n’est-ce point le moteur du génie, l’aiguillon du savant, la source même de la pensée humaine ?

C’est en feuilletant ses cartons d’estampes, que Rembrandt concevait, tout à coup, ses eaux-fortes demeurées schématiques, qui gardent le ressouvenir de ses consultations. Ainsi, l’une de ses pièces les plus importantes qui ne le satisfit jamais et qu’il remania deux fois, son Jésus présenté au peuple, est construit sur le thème et dans le décor même de l’Ecce Homo de Lucas de Leyde ; mais sans le moindre clair-obscur, comme s’il eût voulu lutter à armes égales, par la simple vertu du trait, avec son illustre compatriote.

Son portrait de 1638 nous fournira un autre indice de son impressionnabilité en présence d’une œuvre nouvelle. C’est l’année de la visite de Van Dyck à Amsterdam. Or, ce portrait, le Rembrandt à la toque ornée d’une plume, est gravé, dans tout le costume, exactement comme le Vosterman de Van Dyck, et cet essai reste isolé dans tout l’ensemble de son œuvre.

Son autre portrait de 1639, le Rembrandt appuyé est encore plus typique. Cette année-là, le 9 avril, on avait vendu, à la Kaiser-Krown, toute une cargaison d’œuvres d’art, que Lucas van Uffelend avait ramenée d’Italie, au travers des embûches des Barbaresques et des Corsaires dunkerquois. Ce fut, dans Amsterdam, un événement mémorable et dans le monde des artistes un sujet de dispute esthétique entre les Italianisans, retour de Rome, et la jeune école hollandaise, qui reconnaissait Rembrandt pour son chef. Le jeune maître de trente-trois ans aurait voulu se faire adjuger la pièce capitale de cette vente, le Balthazar Castiglione, de notre Louvre, qui fut acquis pour 3 500 florins par un certain Lopez, qui achetait, en Hollande, pour Louis XIII, quantité d’armes et de munitions. Les Italianisans durent défier Rembrandt de s’égaler jamais à ce chef-d’œuvre ; car on le vit aussitôt commencer dans le même