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légèreté, par tout ce qu’elle contient d’aérien et de vide : espaces embrassés par les volées d’arcs-boutans, immenses baies des verrières, où la pierre n’est qu’une sertissure ; — c’est par la diversité des lignes où vient passer et se distribuer son poids, où sa matière se divise comme celle d’une dentelle en ses innombrables fils. Ce qu’on prenait pour sa fragilité a fait sa résistance.

On revient aux grands porches désolés où des sacs de terre, plus haut que sur des parapets de tranchées, s’entassent pour la défense. On évoque, on revoit presque les statues fraternelles que l’on a connues là : la Vierge de la Visitation, la modeste jeune fille dont le voile tombe en plis simples et droits, la Vierge mère gravement et classiquement drapée, aux yeux profonds, chargés de toute la tristesse et la sagesse de la vie, la vénérable sainte Elisabeth, l’ange de l’Annonciation, le mystérieux ange rieur, la reine de Saba, de grâce si sereine et robuste, le beau roi Salomon, les évêques ascétiques et doux, saint Rémi, saint Nicaise, vingt autres, — chacun avec son geste de noblesse et de mesure, sa pudeur, sa finesse et son humanité. Ils ont subi l’horreur, la chute des tonnerres et la furie des flammes. Pour la première fois depuis six siècles, ils ne voient plus les matins et les soirs de Reims. Une terre amoncelée cache aujourd’hui leurs blessures, les enveloppe de paix et de silence.

On passe sous la voussure d’ombre où des légions d’anges montent en orbes glorieux comme les cercles d’élus dont rêva le Moyen Age. Et voici s’ouvrir les grands vides blêmes et nouveaux de la nef. Elle aussi, pourtant, semble à peu près intacte, au moins dans son architecture. Mais on sait que là-haut pèse la toiture effondrée, que l’eau des pluies s’accumule en ces décombres, et que, d’un jour à l’autre, la voûte peut commencer de crever, céder, peut-être, tout d’un coup. Surtout, la grande pénombre intérieure manque : à la place des rayonnantes roses, des vitraux, — azur et pourpre, — qui semblaient les pages suspendues d’un céleste et scintillant évangéliaire, la dure clarté du ciel s’inscrit dans un grillage affreux et déchiré. Un jour sans âme a chassé l’atmosphère antique, avec l’effluve laissé par les générations et leurs prières. Tout se résume d’un mot : la religion n’habite plus ici. On ne baisse plus la voix d’instinct. Le gardien nous a dit de rester couverts.