Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que masse et mouvement, — dont l’homme aujourd’hui dispose, tout un monde humain, celui qu’un peuple a développé, imprégné, au cours de tous ses siècles, de sa substance spirituelle, peut disparaître comme une fourmilière défoncée à coups de botte.

Un de leurs rois, qui chantait, au siècle dernier, la Germanie d’Arminius et les aïeux barbares, avait dit l’espérance : « Et toi aussi, Paris, tu crouleras un jour[1] ! » A présent, c’est Londres qu’ils voudraient incendier par un feu jeté du ciel. Frénétique orgueil et démoniaque volonté d’un peuple ivre de sa force et de sa science, qui a rêvé de recréer le monde à son image et, pour commencer, de le détruire. L’un d’eux l’a dit à propos de la Belgique : « Celui-là a le droit de détruire, qui possède la puissance de créer. » Cette Allemagne nouvelle, qui s’est crue Dieu, c’est Lucifer. Mais Lucifer est tombé.


Nous arrivions à la cathédrale. Une dévastation plus consciencieuse, une solitude plus profonde qu’ailleurs l’annonçaient. Je m’attardais dans la rue du Cloître, à peine reconnaissable : j’y cherchais en vain une maison où je fus reçu jadis, celle de vieux cousins, — un frère et ses deux sœurs, — qui ne se marièrent jamais pour mieux continuer de prier, et dont toute la vie s’écoula, recluse, aux pieds de Notre-Dame. De lointains souvenirs d’enfance s’évoquaient. Notre-Dame de Reims, c’est un mot qui revenait souvent, avec ceux de Rethel, de Vouziers, de Beaurepaire, sur les lèvres d’une grand’mère, — la mère de Taine, — qui vit dans la cathédrale le sacre de Charles X, et nous en racontait inlassablement les splendeurs. Un ancêtre, peut-être fabuleux, y avait figuré comme échevin de la ville, plusieurs siècles auparavant, dans un sacre plus mémorable, celui de Charles VU, où son rôle, c’est certain, ne le cédait qu’à celui de la Pucelle. La cathédrale de Reims tenait une grande place dans les rêves de ces bons bourgeois de Rethel et de Vouziers.

Je l’avais souvent visitée. Je la reverrai toujours telle qu’elle m’apparut pour la première fois par un radieux matin de

  1. Louis Ier de Bavière.