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pour hâter l’expédition et le débarquement à Saint-Jean de Médua des vivres accumulés à Brindisi. De jour en jour, en effet, s’épuisaient les ressources que le Gouvernement avait, malgré la crise monétaire provoquée par la dépréciation du perper monténégrin et du dinar serbe, réussi à se procurer sur place. D’autre part, le fourrage faisant défaut, les chevaux mouraient par centaines ; leurs cadavres jonchaient les rues, encombraient les abords des camps. Déjà quelques cas de maladies graves étaient signalés, et, dans les conditions sanitaires défavorables où se trouvait l’armée, on pouvait craindre que les épidémies les plus redoutables ne se propageassent.

La situation devenait critique. Le 15 décembre, la ration du soldat était réduite ; le l (î, elle subissait une nouvelle diminution ; le 17, au matin, l’Intendance ne pouvait plus donner qu’un tiers de la ration habituelle et, pour le lendemain, il ne lui restait pour ainsi dire plus rien à distribuer.

L’angoisse de la famine étreignait le Gouvernement. Quarante-six cadavres de soldats morts de faim avaient été relevés dans la nuit du 16 au, 17. M. Pachitch ne pouvait dissimuler aux ministres alliés la gravité de la situation. L’armée avait tout supporté jusqu’ici ; à quelles extrémités ne se laisserait-elle pas entraîner, si elle se croyait condamnée à mourir de faim ? Ne serait-elle pas alors en droit de reprocher au Gouvernement de l’avoir amenée à Scutari sans avoir rien préparé pour la recevoir ? Consciens de leur responsabilité, M. Pachitch et ses collègues croyaient aux pires éventualités. Réunis en permanence dans le bâtiment de la municipalité dont ils avaient, depuis leur arrivée à Scutari, fait le siège du Gouvernement, ils reconnaissaient leur impuissance et, résignés à leur sort, ils attendaient les événemens. Une fois de plus, le ministre des Travaux publics, président du Comité de ravitaillement, venait de faire connaître l’état des choses à ses collègues quand, dans le silence impressionnant qui avait suivi cet exposé, le prince Alexandre entra dans la salle du Conseil. C’était le jour anniversaire de sa fête ; quelque tragiques que fussent les circonstances, les ministres ne pouvaient se dispenser de présenter au Régent leurs félicitations et leurs souhaits. Ils le firent et se turent, oppressés par la détresse de l’armée. Voulant rompre un silence qui devenait pénible, le Régent leur demanda de reprendre leur délibération. M. Drachkovitch relit alors son