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On me dira que les croiseurs des Alliés intercepteront ces avis ou sauront recevoir des informations analogues. C’est une question. Supposons-la résolue par l’affirmative. Les difficultés ne seront guère moindres pour eux. Comment deviner d’abord quel choix exerceront les sous-marins ennemis entre les diverses victimes qu’on leur propose et par conséquent de quel côté ils iront ? Et non seulement de quel côté, mais jusqu’où ? Le sous-marin peut se poster à la limite des eaux territoriales et l’on est bien assuré qu’il n’y regardera pas de très près. S’il n’était en plongée, on l’apercevrait plus fréquemment en deçà qu’au-delà de cette limite. Il n’en peut être de même des croiseurs alliés. Nous savons que le Cabinet de Washington a exprimé d’une manière fort nette le désir que les croisières restassent assez éloignées du littoral de la grande république, celle-ci ne laissant pas d’être fort chatouilleuse. Or les croiseurs se voient de loin et seraient dénoncés tout de suite, tandis que les sous-marins ne le seront pas. Ils ont donc, déjà de ce fait, les coudées franches pour détruire et ils sauront en profiter.

Autre avantage pour eux : ils chauffent avec le pétrole ou ses dérivés les chaudières spéciales dont ils sont, paraît-il, munis presque tous aujourd’hui[1]. Au contraire, presque tous les croiseurs, grands ou petits, qui entreprendront de les chasser chauffent au charbon, d’où résulte pour ces derniers une infériorité relative d’endurance. Ajoutez à cela que le chasseur, marche nécessairement plus vite et plus longtemps que le chassé. La recherche, surtout, coûte cher ; et il faut beaucoup chercher pour découvrir un sous-marin. Or les bases de ravitaillement sont assez clairsemées pour les nôtres : des Bermudes aux Antilles et des Antilles à Kingstown de la Jamaïque, il y a loin. Les Allemands, eux, s’en tireront à beaucoup moins de frais. Il n’est aucune de leurs captures qui ne leur rapporte quelques barils du précieux hydrocarbure. Mieux encore et comment en manqueraient-ils, s’il est vrai qu’ils s’installent dans la mer des Antilles, ou dans le canal de Floride, ou encore aux « débouquemens » pour intercepter les bateaux pétroliers qui vont du Texas et du Mexique en Europe ? Il y aurait même eu déjà des torpillages dans le golfe du Mexique, car, lorsque leurs citernes sont pleines, il ne leur reste plus

  1. J’ai déjà noté l’intérêt de ce dispositif dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1915 : « La variété des types de sous-marins, » p. 349 et 363.