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Il s’avançait lentement vers le terme sans que sa belle vieillesse pût faire prévoir que ce terme dût venir. Mais les épreuves guettaient cette vie à laquelle rien n’avait manqué, pas même le bonheur. En 1911, un deuil tragique l’avait frappé dans sa famille. Il voulut retourner une dernière fois à Jérusalem, revoir les sanctuaires si chers à sa jeunesse, non pour oublier, mais pour se recueillir. En 1912, il dut renoncer à présider les Agriculteurs de France. Les infirmités étaient venues ; il songeait à la retraite. La guerre qu’il prévoyait, qu’il redoutait, le rendit tout entier à l’action. C’est alors que nous le vîmes, infatigable, intrépide, malgré le poids des ans, la vue plus basse, la démarche plus lourde, préparer cette mobilisation des dévouemens destinés à seconder celle des héroïsmes. Il s’y donna sans compter, chaque jour au travail, dirigeant, surveillant, animant tout et tous de sa flamme. Comme la Croix-Rouge, l’Orient chrétien, l’Orient français eurent ses dernières pensées. Je le vois encore, au comité de Syrie, s’appuyant sur mon bras, pour en saluer les membres, et j’entends sa voix émue et grave s’élever, au milieu de nous, comme auprès des pouvoirs publics, pour défendre les droits de la France libératrice. Un de ses derniers actes fut l’appel éloquent de sa douleur au Saint-Siège, en faveur des opprimés.

A la fin de juillet, un grand sentiment de fatigue l’avait envahi. Il se décida à partir, demandant le repos à cette terre gracieuse et calme du Berry, où tant de fois s’était retrempé son être. Mais le repos lui pesait ; il se savait utile. En octobre, il revint, décidé à remonter sur la brèche, toujours intact dans ses merveilleuses facultés de pensée et d’action. Quelques semaines plus tard une nouvelle crise l’arrêtait. Le mal fut conjuré, sans qu’on pût restaurer les forces. Son âme se retirait ainsi, doucement, sans déchirure, en hôte familier qui s’attarde sur le seuil. Pour le prendre à jamais, la mort n’eut qu’à le frôler de son aile. — Et il s’est endormi, comme, la lutte finie, dans la splendeur des couchans, le bon combattant se couche sur la terre, la terre maternelle que garde sa vaillance et qu’il étreint de son amour.


P. IMBART DE LA TOUR.