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et joyeuse, confiante dans ses défenseurs et dans le destin. »

Il y a plus : et ce trait, qu’il faut retenir, n’est point sans une réelle beauté. Dans cette Venise de guerre, on travaille comme si la guerre n’existait point. La bibliothèque de Saint-Marc est demeurée ouverte aux lecteurs, — peu nombreux d’ailleurs, — qui y veulent fréquenter. A l’Archivio di Stato, une partie importante des documens reste accessible à ceux qui souhaitent les consulter. A l’église des Saints-Jean et Paul, on continue paisiblement la restauration de la célèbre chapelle du Rosaire, détruite par un incendie en 1867, et dont la reconstruction a été décidée en 1912. Au palais ducal, dans la salle du Grand Conseil, on poursuit tranquillement la mise en place des boiseries qui en compléteront la décoration. On a commencé à réparer, comme si l’on voulait effacer une souillure, les ruines faites par les attentats autrichiens. L’église des Scalzi est de nouveau couverte ; dans l’église des Saints-Jean et Paul, des échafaudages colossaux sont dressés, pour panser au plus vite les blessures de l’édifice. A l’Académie, on songe à tirer parti du déménagement forcé qu’il a fallu faire pour procéder à un classement plus méthodique et plus satisfaisant des peintures, et déjà on en esquisse les lignes directrices. Au palais des Doges, on pense qu’avant de remettre en place les toiles qui décorent les plafonds, il sera intéressant de les présenter de plus près aux yeux, en une exposition qui permettra d’en mieux apprécier la technique, d’en apercevoir mieux les beautés. Et il n’est point besoin même de parler de l’activité infatigable qui se dépense à la mairie de Venise, pour l’administration journalière et les multiples besoins de la grande cité.

Tout cela s’accomplit avec un calme, un sérieux, une gravité qui est vraiment le trait caractéristique de cette Venise de guerre, et qui lui donne une force et une beauté. Mais cette gravité n’est point exemple de sourire. Venise a toujours aimé les musiques légères, les chansons ironiques : elle les aime encore aujourd’hui. Les événemens ont fait éclore toute une littérature populaire, où, en de petits tableaux d’une touche précise et d’une verve assez amusante, sont notés et raillés un peu les multiples incidens de la vie actuelle, les confusions plaisantes qu’entraîne l’obscurité des soirs, les émotions diverses que produit dans les rues l’annonce des attaques ennemies, la recherche des éclats qu’a semés l’explosion des bombes et la