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Société Leonardo da Vinci de Florence, en réponse à la lettre indignée que lui adressait le surintendant des musées de Venise, on lit ceci : « La Société Leonardo da Vinci, réunie en assemblée extraordinaire, exprime pour les bombardemens réitérés de Venise la même protestation indignée qu’elle a, en 1915, exprimée pour ceux de Reims. Elle signale à la réprobation du monde les pratiques d’un ennemi qui, sans aucun objectif militaire sérieux, et dans le vain espoir d’intimider des populations inébranlables, s’acharne contre des monumens et des œuvres de souveraine beauté, créées pour l’élévation et pour la joie de toutes les nations civilisées. » Avant la guerre actuelle, toucher aux monumens de Venise eût semblé l’idée d’un criminel ou d’un fou ; les menacer aujourd’hui, c’est se mettre soi-même en dehors de la civilisation. Mais, malgré toutes les protestations, le péril n’en est pas moins menaçant ; et lorsqu’on visite aujourd’hui Venise, lorsqu’on revoit ces monumens illustres, dont une barbarie incroyable envisage la destruction sans rougir, on sent une angoisse indicible à penser qu’un instant, qu’un hasard peut anéantir à jamais tant de beauté.


Et pourtant, malgré la menace toujours présente, Venise garde son calme et sa sérénité.

Plus que toute autre ville d’Italie, Venise souffre de la guerre. Son commerce maritime est interrompu ; son port est fermé. Son industrie, qui ne fut jamais très active, est réduite presque à rien. Venise vivait pour une part de l’afflux des étrangers ; il n’y a plus d’étrangers à Venise. Dans la ville entière, six ou sept hôtels à peine sont demeurés ouverts, — les autres étant employés pour les besoins de l’autorité militaire, — et on imagine aisément qu’ils ne sont pas très fréquentés. Beaucoup des magasins qui vivaient de la clientèle étrangère ont à peu près fermé leurs portes, faute d’affaires ; et c’est une chose tout à fait singulière pour qui avait l’habitude de Venise, — une chose qui du reste n’est pas exempte de douceur, — de pouvoir flâner sur la place Saint-Marc, sans avoir à repousser les sollicitations des officieux empressés à vous conduire à la fabrique de verreries de Salviati, à la fabrique de mosaïques de Murano ou ailleurs, et de pouvoir regarder l’église de l’Évangéliste, sans être encombré d’un cicérone tout prêt à vous l’expliquer.