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les Espagnols ; mais comme ils sont plus humains. C’est à l’homme qu’ils songent avant tout ; c’est l’homme, dans ses différentes attitudes morales, dans les dispositions profondes de sa nature, qu’ils s’efforcent de comprendre et de peindre ; ce sont des questions humaines qu’ils traitent, questions morales ou questions sociales ; c’est la pratique de la vie individuelle ou collective que, presque toujours, ils ont en vue ; et c’est enfin à l’homme qu’ils s’adressent, à l’homme concret, réel et vivant, à l’homme non pas exceptionnel, mais à l’homme moyen dont ils parlent la langue habituelle, et dont ils recherchent l’assentiment. Instruire et moraliser, humaniser en un mot, voilà leur objet essentiel. On sait ce que Bossuet disait des poètes grecs : « Homère et tant d’autres poètes, dont, les ouvrages ne sont pas moins graves qu’ils sont agréables, ne célèbrent que les arts utiles à la vie humaine, ne respirent que le bien public, la patrie, la société, et cette admirable civilité que nous avons expliquée. » Ce pourrait être la définition même de la littérature française.


Précisons cette impression générale. Voici deux grandes époques de notre histoire littéraire, le XVIIe et le XVIIIe siècle, qu’on a coutume, et non sans raison d’ailleurs, d’opposer l’une à l’autre. Et, en effet, autant le XVIIe siècle a aimé l’ordre, la règle, la discipline, autant le XVIIIe s’est montré rebelle à toute autorité religieuse, intellectuelle ou politique. Mais pourtant, à travers ces indéniables divergences, qu’on aille au fond des choses, et l’on reconnaîtra que, par des moyens différens, c’est bien le même idéal qui s’affirme et se poursuit.

La littérature française du XVIIe siècle a été passionnément curieuse de l’âme humaine : c’est là, semble-t-il, son caractère distinctif, celui qui en explique non seulement les mérites originaux, mais aussi les faiblesses ou les lacunes. On lui a reproché, par exemple, d’avoir dédaigné la nature : c’est qu’à force de regarder l’homme, elle a négligé tout ce qui n’était pas lui. Voir vivre, des « yeux de son âme, » et représenter avec exactitude cet « être merveilleusement vain, ondoyant et divers, » cela lui a paru un spectacle qui faisait pâlir tous les autres, une besogne auprès de laquelle toutes les autres n’étaient que « divertissement. » « Je trouve bon, a dit Pascal, qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic ; mais ceci : Il