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secrets abris qui s’enfoncent à sept et huit mètres au-dessous du sol. Dans tous ces replis, dans les boyaux et les puits où l’on descend par des échelles, la chandelle éclaire, au long de l’humide paroi, un double et triple rang de fils téléphoniques. Çà et là, dans cette lueur et cette ombre bougeante, une forme humaine se révèle, un soldat qui s’efface pour nous laisser passer. Car toute la fourmilière est habitée, gardée, pleine d’une vie muette et vigilante. Tout au fond, accrochées au roc et superposées comme en des cabines de navire, on trouve des couchettes de fer sous un plafond de toile huilée qui les protège contre le suintement continu de la pierre. Tout à l’heure, je disais que ces hommes sont faits maintenant à leur condition, mais je les voyais au cantonnement, en plein air, dans le décor de la forêt salubre. Est-ce que la créature humaine peut s’habituer à cette existence de taupes et de termites, interrompue sans doute tous les trois ou quatre jours, mais régulièrement reprise en ces couloirs où partout l’eau perle ou bien ruisselle ? Qu’on ne parle pas de la vie du mineur ! — lui travaille, chaque abatis de charbon ajoute à son salaire ; tous les soirs, il retourne chez lui. Ici, le fouissement souterrain achevé, il n’y a plus qu’à veiller et attendre. Pour supporter comme ils le font ces journées recluses dont les séries ne cessent pas de revenir, il faut une patience dont l’étranger n’imaginait pas les Français capables. Elle se nourrit, comme l’inusable volonté qui se manifeste à Verdun, du sentiment de la nécessité morale. Le sol de la France étant envahi, l’idée ne leur vient pas que l’on pourrait céder. C’est que la vie du pays se confond maintenant à la leur. Leur patience est l’instinct de cette vie. Pas un d’eux qui n’ait compris l’espèce d’ennemi qu’est l’Allemagne pour notre France. Que de fois on entend à peu près cette phrase : « C’est long, ce sera encore long, mais il faut : on ira jusqu’au bout ! » Et parce que leur volonté est si profonde, parce qu’ils sont si sûrs de ce qu’ils sentent en eux-mêmes, ils sont certains, aussi, de la victoire.

Plus loin, c’est un abri de mitrailleuse au fond d’une des nasses préparées avec tant d’art. Il faut y être conduit, y pénétrer déjà pour le découvrir, ce repaire, tant il se dissimule sous les fougères et les ronces, au fond d’un ravin dont la pente le couvre de plusieurs mètres. Dans la pénombre qu’éclaircit à peine la meurtrière, deux hommes sont tapis dans la posture de