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comblés, et je partage tout votre bonheur. Cette nouvelle a répandu la joie dans ma maison. Il y a longtemps que nous n’en avions autant éprouvé. Je n’ai point encore vu Caprara ; il est resté aujourd’hui pour faire sa cour à l’Empereur, mais il doit venir ici demain, et tu devines à combien de questions il doit s’attendre. J’espère le retenir à Navarre quelques jours, quoique les plaisirs n’y soient pas très vifs. La vie que je mène est celle d’une dame de château. Ma société n’est pas très nombreuse. J’ai maintenant près de moi sept ou huit dames et un homme ou deux tout au plus, quand il y a un chambellan, ce qui donne au château un peu l’air d’un couvent. Tu juges d’après cela combien Caprara sera édifié et peu amusé. Il se promènera quand il fera beau et, les jours de pluie, il restera avec nous au salon, où M. de Vielcastel[1]lui fera la lecture. J’ai été indisposée les premiers jours de mon arrivée, peut-être à cause de l’humidité. On m’a donné l’émétique qui a coupé la fièvre, et je serais très bien à présent sans un peu de faiblesse qui m’est restée sur les yeux. Cependant je les ai encore assez bons pour bien voir mon petit-fils, s’il était ici. Embrasse-le pour moi. Je ne te dis rien pour Auguste parce que je lui écris. Adieu, mon cher Eugène, tu sais combien je t’aime tendrement. Donne-moi souvent des nouvelles de ta femme et de tes enfans.

« JOSEPHINE. »


Navarre, le 22 décembre (1810).

« J’ai été pendant quatre jours bien inquiète de ton silence, mon cher Eugène, et j’allais t’écrire pour te demander des nouvelles d’Auguste et de mon petit-fils, quand ta lettre du 13 m’est parvenue. Je vois avec peine que j’avais raison d’être inquiète et que ma chère fille a été bien souffrante. Fais-moi donner souvent de ses nouvelles. J’attendrai avec impatience que tu m’assures positivement qu’il n’y a plus le moindre sujet de crainte. Ma santé est assez bonne, mais je ne me porterai tout à fait bien que lorsque Auguste sera rétablie. J’espère que tu as souvent des nouvelles d’Hortense. Il n’y a encore rien de décidé sur son sort. Je pense que l’Empereur va s’en occuper

  1. Charles de Salviac, baron de Vielcastel (1766-1821), chambellan de l’Impératrice après le divorce, baron de l’Empire le 6 octobre 1810. Il avait épousé Mlle de Lasteyrie, nièce de Mirabeau, dont il eut sept enfans.