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en automobile nous irons à Prizrend. » Et, d’une voix grave et lente, il répéta encore ces mots : « Il faut partir. »

Aussitôt, nous prévenons nos collègues ; la nuit se passe en préparatifs.


La gare est à trois quarts d’heure de Mitrowitza ; la route boueuse est encombrée par les convois de l’évacuation, matériel, blessés, malades ; par le passage des troupes au milieu desquelles nous saluons un groupe d’aviateurs français qui vient de faire de dures et pénibles étapes. A la gare, peu d’ordre : soldats et civils montent au hasard dans les wagons. Sur la seule voie ferrée qui reste à la Serbie, les trains se succèdent, emmenant vers Ferizovitch aussi bien ceux qui vont prendre part à la bataille acharnée qui se livre autour du défilé de Katchanik que ceux qui se hâtent vers Prizrend pendant que la route est encore libre. Les uns après les autres, les ministres alliés, les membres du gouvernement arrivent et se retrouvent dans la foule. Tristement, ils se saluent et attendent ; des heures passent ; enfin, les deux wagons de seconde classe qui composeront le train officiel sont prêts ; dans l’un montent, avec le voïvode Putnik, les officiers du grand quartier général ; dans l’autre M. Pachitch, ses collègues, les ministres alliés et quelques fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Le train se met lentement en marche. Personne n’est disposé à parler. On regarde, sur les pistes qui longent la voie, passer les automobiles, les camions, les voitures, les chars, et souvent on en voit toute la file arrêtée : un des véhicules s’est enlizé et empêche les autres d’avancer. De loin, on reconnaît l’automobile du prince héritier, celui des attachés militaires. Dans la campagne, partout, des convois, des soldats, des réfugiés.

A Vutchitern, les gens se pressent sur le quai comme immobilisés à la vue des membres du Gouvernement. A la station de Prichtina, un officier passe rapidement le long du train, réclamant le président du Conseil qui descend, cause un instant avec lui, puis fait demander les ministres ; tous quittent aussitôt le wagon et nous les voyons s’entretenir à voix basse, d’un air grave. Que se passe-t-il ? Ils remontent en wagon, tandis que M. Pachitch avec l’officier se dirige vers un automobile stationné près de la gare et qui bientôt file à travers la