Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/723

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la monarchie austro-hongroise, au lieu d’y avoir, comme elle l’y aurait, le lourd « rocher de bronze » de l’Allemagne prussienne, grossi et alourdi encore du bloc rendu compact de l’Autriche allemande. » Seulement, cette conclusion était intitulée, par un raccourci un peu trop synthétique, l’Europe sans Autriche ; c’en fut assez pour que, sans qu’elle fût lue ou comprise, elle fût condamnée, du chef de Hochverrath, de « haute trahison,  » ni plus ni moins, par le tribunal administratif de Vienne, siégeant comme tribunal de la presse : là encore, la bureaucratie autrichienne se découvrit telle qu’elle est et telle qu’elle a toujours été : la plus belle des bureaucraties. Mais, sur le fond des choses, cette Autriche que l’Europe devait conserver, c’était, bien entendu, l’Autriche autrichienne, autonome, indépendante, et ce ne pouvait pas être l’Autriche germanisée, pis que cela, prussifiée. On était alors au temps où la mode voulait qu’on fixât au jour du décès, dès ce moment, escompté, de François-Joseph la dissolution de la monarchie austro-hongroise. Chacun désignait le morceau que s’attribuerait l’un ou l’autre des co-partageans. A notre avis, il n’était pas si sûr qu’il y eût dissolution et partage, bien que nous eussions garde de nier les difficultés. Ceux qui se piquaient de prévoyance, il y a vingt ans, avaient prévu tout, sauf la guerre. Elle n’a pas résolu le problème, mais elle l’a posé autrement. Elle n’a pas supprimé, pour l’Autriche-Hongrie ces difficultés de vivre, mais elle en a changé la nature ou l’aspect, elle a bouleversé les conditions et les rapports. Il y aurait de l’ironie à dire que le passage de l’ancien au nouveau règne en sera rendu plus heureux, mais il en est peut-être rendu plus aisé, à l’intérieur de la Monarchie. La querelle qu’on prédisait, à fin de partage, n’a plus d’objet. Entraînée par une loi fatale, à laquelle elle ne peut ni ne veut se soustraire, dans l’orbite de l’Allemagne, enchaînée au char de Guillaume II, conduite, le fouet levé, par Hindenburg, l’Autriche ne sera pas mise en pièces. C’est inutile. Elle est déjà dévorée en entier.

La grande idole de guerre est insatiable. Elle réclame des hommes et des hommes, les générations et les races. « Libération » carillonnée de la Pologne russe, « libération » annoncée de la Lithuanie russe, déportation en masse des Belges au-delà du Rhin, mobilisation civile en Allemagne et en Autriche-Hongrie, ces quatre mesures sont des mesures militaires, prises pour conjurer ou prévenir la crise des effectifs. Qu’il y ait réellement « crise » ouverte ou que ce soit un effort « colossal » qui se prépare, que cette seconde et extrême « mobilisation » de l’Europe centrale, avec ses annexions tout