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actuelle, avec ses diverses modalités, comme une nouveauté étonnante, imprévue et imprévisible, ce sont les enseignemens récens des guerres anglo-boer, russo-japonaise et balkanique.

Les succès des Boers, leurs méthodes particulières auxquelles les Anglais s’adaptèrent rapidement en les adoptant, démontrèrent l’efficacité du défilement et des masques. On comprit que l’ancien axiome : « Le feu attire le feu, » devait faire place à celui-ci : « La visibilité attire le feu. » La cavalerie anglaise se mit à pied pour combattre et s’arma du fusil. L’infanterie ne combattit que presque couchée ; elle mit des costumes couleur khaki qui se confondaient avec le sol, sans aucune pièce métallique brillante ; les officiers s’habillèrent et s’armeront comme leurs hommes, et abandonnèrent leur sabre pour le fusil. Les Anglais comprirent qu’ils devaient, dans leur costume de guerre, abandonner toute esthétique, toute fantaisie, tout panache, pour n’avoir en vue que l’invisibilité, sœur de l’invulnérabilité.

Tous ces enseignemens ne furent pas médités, autant qu’on aurait pu l’espérer, dans certaines armées européennes.

La guerre russo-japonaise cependant, survenant quelque temps après, força l’attention des Etats-majors, et c’est ainsi que, dans toutes les armées d’Europe, on se préoccupa des modifications tactiques et matérielles qu’elle paraissait imposer.

Une des études les plus remarquables publiées alors sur ces questions fut celle du général de Négrier, parue ici même[1], il y a dix ans. Encore aujourd’hui, elle peut être consultée avec fruit, et il n’est point sans intérêt d’examiner, à la lueur des événemens actuels, les enseignemens souvent sagaces et profonds, rarement superficiels, qu’elle contient.

Deux remarques générales se sont imposées d’abord au général de Négrier : la grande extension des fronts de combat rendus, par la puissance des armes et l’emploi des travaux de campagne, à peu près impossibles à percer de vive force, et lai fréquence des combats de nuit. Double et précise confirmation de ce qu’avait enseigné la guerre du Transvaal.

« L’invisibilité, remarque le général, est devenue une condition nécessaire : tel est le fait essentiel. » Les batteries non défilées étaient tout de suite repérées et réduites au silence. Aussi, n’ont-elles plus employé au bout d’un certain temps que le tir indirect. Les officiers

  1. Quelques enseignemens de la guerre russo-japonaise, par le général de Négrier, Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1906.