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l’armée adverse, soit même par un de leurs propres soldats déchargeant son fusil par mégarde : le fait s’est produit à Mulhouse et a failli amener des exécutions en masse. A admettre même avec toutes ces conséquences la thèse allemande, à supposer que des civils aient pris part à la lutte et qu’ils n’aient pas le droit d’être traités en combattans, la disproportion paraîtrait en tous cas monstrueuse entre les effets de leur intervention et la rigueur de leur châtiment[1]. D’une part, Gottberg remarque que la maladresse des tireurs ou la mobilité du but rendait le plus souvent inoffensifs les coups de feu essuyés, à leur entrée dans certains villages, par les avant-gardes cyclistes de son régiment. D’autre part, un soldat silésien, racontant son entrée dans un village, à la suite d’un combat victorieux, nous fait cet aveu édifiant : « Un coup part d’une maison : c’est le signal pour tout incendier. Ce n’est pas long : on brise les fenêtres des habitations, l’on jette à l’intérieur un torchon de paille allumé, l’on ajoute du bois et l’on n’a plus qu’à attendre. Nous avons de cette manière fait flamber encore quatre autres villages. Le soir, c’était comme une mer de flammes[2] ! » Ainsi cinq villages anéantis pour un seul coup de fusil, tiré probablement par un traînard ! Est-il un exemple plus typique pour montrer que ces abominables cruautés n’avaient en réalité pour objet que de satisfaire une instinctive rage de destruction ou de terroriser des populations inoffensives ?

Ce qui tendrait à le prouver, c’est que la pratique en a longtemps survécu à l’exaltation de la lutte. Après la fin des combats livrés sous Liège, des patrouilles sont envoyées dans les villages environnans pour forcer les habitans à livrer, sous peine de mort, les armes qu’ils pourraient conserver dans leurs demeures. L’intrépide Hoecke avoue sans honte avoir fait fusiller ainsi, sous les yeux de ses parens, un adolescent coupable d’avoir été trouvé porteur d’un pistolet. A la fin de septembre, un mois après l’incendie de Louvain, il est encore défendu aux habitans de la ville de sortir après huit heures du soir : « Quiconque se laisse voir dehors après cette heure est aussitôt fusillé. » A la fin d’octobre, on jette dans une fosse qu’il a dû creuser lui-même le cadavre d’un jeune Belge soupçonné d’avoir « cherché

  1. Thümmler, I, p. 26, VI, p. 22 ; Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, pp. 26 106, 154.
  2. Gottberg, p. 60-67 ; Thümmler, V, p. 12.