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en un involontaire respect. Ils commencent à se dire qu’ils auront affaire à de rudes adversaires lorsqu’ils examinent les premiers prisonniers dont ils avouent que l’ « impeccable tenue et la fière attitude » leur en « imposent fortement[1]. » Ce sentiment se renforce en eux quand la guerre de tranchées vient leur révéler toute la vertu de la ténacité britannique. Tandis qu’un soldat parle avec terreur de « la colossale précision du tir écossais, » un autre déclare qu’ « ils tiennent comme des murs et qu’il faut littéralement les jeter hors de leurs tranchées : dur travail pour les nôtres[2]. » Reinhardt écrit quelques jours après la prise de Lille : « Nous faisons chaque jour l’expérience que nous avons devant nous un adversaire d’une force de résistance sans égale, et que le feu le plus violent suffit à peine à ébranler. Nous ne gagnons de terrain qu’avec une lenteur infinie et chaque pouce doit en être payé au prix des plus lourds sacrifices. » Écœuré du « patriotisme à la Lissauer » et des violences verbales par lesquelles ses compatriotes cherchent à satisfaire leur haine, le même officier leur adresse cet avertissement prophétique : « On doit reconnaître qu’au point de vue militaire, de pareils adversaires sont dignes de la plus haute considération. Puissent les Allemands se persuader de l’infinie difficulté que présente la lutte contre eux, afin d’apprendre la patience[3] ! » Il n’est pas enfin jusqu’aux soldats de l’armée hindoue, « ces singes dont on voudrait faire des champions de la civilisation, » qui n’arrivent aussi à forcer l’estime de leurs ennemis. Au cours d’une attaque nocturne, ils arrivent sans être aperçus jusqu’aux tranchées allemandes, essuient une décharge à bout portant sans interrompre leur marche, et engagent avec les occupans une lutte corps à corps qui laisse à ceux-ci de terribles souvenirs. « Ces gueux de couleur ne sont pas à mépriser, « déclare un soldat, qui ne songe plus à railler leur aspect exotique[4].

A l’égard des Français, ce revirement d’opinion semble plus rapide encore ; en même temps qu’une satisfaction pour notre patriotisme, ce n’est pas une des moindres curiosités de cette enquête que d’en suivre les progrès. Si, au début, les hommes

  1. Hoecke, p. 10 ; Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, I, p. 99.
  2. Thümmler, XXVII, pp. 38 et 32 et XVIII, p. 23.
  3. Reinhardt, pp. 33-34 et 44-45.
  4. Thümmler, XVIII, pp. 29-30 et XV, p. 19.