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surtout comment il est mort. Il a dit : « Viens, brave petit Alsacien. Tu as porté courageusement ton angoisse. Grâce à toi, grâce à ceux qui sont morts comme toi, la condamnation est à jamais sur ceux qui martyrisent les cœurs ! » Dressé sur le ciel, avec sa pauvre figure ravagée, Weiss est l’image de la douleur.

Et voici que les cloches tintent. Chaque jour, on confie à cette terre d’Alsace ceux qui sont tombés pour elle sur la montagne. Un cortège s’avance, la croix, le cercueil enveloppé du drapeau, le prêtre, les enfansde chœur, les camarades du mort, les vieux de Friedensbach, les enfans qui chantaient : << Liberté ! ... liberté !... » Que de couronnes autour de ce cercueil ! Et des femmes sortent des jardins qui offrent à l’inconnu ces fleurs d’autrefois que l’on cueille au pied des murs tièdes, les soucis, les gaillardes, les campanules...

Le cimetière des soldats est à côté de l’autre cimetière ; ici, des arbres, des rosiers, la fraîcheur des ombrages ; là, les croix dans leur belle nudité, serrées, alignées comme le régiment au jour de la parade... On s’est massé autour de la fosse (d’autres sont ouvertes à côté...). Debout dans la lumière, le prêtre dessine des gestes éternels, bénit ce mort, jette au ciel ces prières latines qui viennent du fond des siècles... La plainte des cordes qu’on déroule... Les soldats saluent, la main bien ouverte au-dessus du béret.

Et tous les vieux ont joint les talons, aussi bien qu’ils peuvent, car il en est qui tremblent, ceux qui furent à Magenta, à Solférino ; ceux-ci sont en avant ; derrière, ceux qui vécurent la guerre maudite ; on les reconnaît au ruban qu’ils portent avec fierté ; on a fait ce qu’on a pu !... Pas un mort français n’entre dans cet enclos sans que les vieux Alsaciens l’entourent. Brossés, astiqués,* redressés, parcheminés, ils le prennent à la sortie de l’hôpital, ils l’accompagnent à l’église ; au pas, à très petits pas, ils suivent le chemin montant, quatre par quatre, se regardant parfois pour observer l’alignement ; et quand le moment est venu, ils saluent, eux aussi, militairement, la main près de leur crâne lisse. Et les petits saluent comme les vieux. Que c’est beau, ces soldats de France, ces vieux, ces gosses d’Alsace, immobiles devant ce mort qui lentement disparait dans la fosse !Si la maman qui ne sait encore pouvait voir !...