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REVUE DES DEUX MONDES.

La pauvre maman me chagrine. Ses journe’es, elle les passe devant les photographies de notre Jacques, de notre Charles-Deux fils morts dans l’armée allemande pour que l’Alsace demeure française !... C’est insensé’, ça ! Vous qui avez vécu chez nous, vous comprendrez, vous saluerez ces martyrs de la cause. On ne peut pas les pleurer comme il faut. On est trop aigri, trop tendu, trop révolté... Trois fils !... Il nous en restera un, mutilé. Comme nous allons l’aimer ! Mais aucune joie ne pourra plus faire taire la plainte de notre cœur... Ailleurs, les pères et les mères savent que leurs enfans sont morts avec de la joie dans l’âme. En Alsace, la mort des nôtres a été un supplice : fusillés par des brutes ou tués par les balles de ceux dont ils souhaitaient la victoire. Quand on saura tout !... Ceux de Wissembourg en ont des amis, maintenant ! Dans notre malheur il nous reste cette consolation : notre garçon n’a pas accepté le mensonge. Des morts comme la sienne ne sont pas inutiles. Elles ont la valeur et le poids d’une malédiction.

Votre malheureux Weiss.

U Henri Bohler.

Friedensbach, 7 janvier 1916.

Cher monsieur, cher ami.

Votre lettre nous a émus jusqu’aux larmes. Nous y retrouvons toute l’affection que vous aviez pour nos fils bien-aimés qui vous la rendaient bien.

Nous n’avons pas eu, au premier moment, le courage de vous écrire. Excusez-nous si les journaux nous ont devancés. Il

suffi d’une semaine... Le lundi nous est arrivée la nouvelle 

de la mort de René, tué d’une balle en plein front, devant Carspach. Il est tombé, la face en avant, devant cette Alsace à laquelle, depuis longtemps, il avait offert sa vie... Nous avons eu, ma femme et moi, la triste joie de le revoir. Comme il était beau, et souriant !... Il dort en compagnie de centaines et de centaines de camarades dans ce cimetière de JMoosch que vous avez longé tant de fois avec vos élèves, jadis... Le samedi de la même semaine, nous apprenions la mort de Jean tué avec six de ses hommes, dans l’Argonne, par un obus