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conquêtes avaient surexcité l’opinion prestigieuse qu’il avait de lui-même.

— C’est moi seul, disait-il, qui ai entrepris la tâche, considérée par les plus avertis comme irréalisable, d’unir dans une même cause et pour un même but les États balkaniques ennemis jusque-là ; c’est grâce à moi et par moi seul qu’ils ont pu conclure un accord et obtenir le succès.

Ce même refrain se retrouve sur ses lèvres dans les diverses circonstances où il laissait sa pensée transpirer au dehors. Ces circonstances étaient rares. Depuis plusieurs mois, il évitait systématiquement de converser avec les représentans des Puissances, ne consentant à causer des affaires de l’Etat qu’avec ses ministres, les politiciens bulgares et les familiers de son palais. Il affecte alors de s’être tracé à cet égard une règle rigoureuse et de n’y faire exception que lorsqu’il ne pouvait s’en dispenser, comme, par exemple, quand quelque ministre étranger nommé à un autre poste venait prendre congé de lui avant de quitter Sofia ou quand tel autre demandait à lui faire une communication directe et personnelle.

Au début d’une de ces audiences accidentelles, le Roi explique que s’il ne voit personne, c’est afin de pouvoir concentrer toute son attention et toute sa réflexion sur les graves problèmes qu’il est tenu de résoudre.

— A force de vivre en reclus, ajoute-t-il, j’ai perdu l’habitude de la conversation.

Au moment où il le constate, la paix avec la Turquie n’est pas encore signée et il exprime le très vif désir de voir les hostilités se terminer à bref délai ; son armée est épuisée et il n’espère pas obtenir de nouveaux succès militaires. Il croit d’ailleurs que les négociations engagées à Londres sont en bonne voie. Puis, malgré son parti pris de discrétion et de silence, il s’élève longuement contre les actes d’hostilité dont, à l’en croire, la Bulgarie a été l’objet de la part de ses alliés, parmi lesquels un seul, le roi de Monténégro, lui semble digne de commisération. Il se plaint aussi du roi de Grèce ; mais il l’excuse « parce qu’il le sait faible et incapable de résister aux exigences et aux imprudences du diadoque Constantin. »

Mais c’est surtout contre les Serbes qu’il manifeste son animosité et sa rancune. Lorsqu’il a parlé des Grecs, il se rappelait sans doute qu’en raison des liens de famille de leur dynastie,