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à être fusillé le lendemain. Le général allemand, le soir même, s’empressait de proclamer devant ses troupes que l’exécution avait eu lieu. « Vous êtes mort à nos yeux, » disait au curé, le lendemain, un factionnaire compatissant ; et le prêtre, officiellement fusillé, était traîné vers Metz comme prisonnier, puis renvoyé dans les lignes françaises. L’Allemand, lors même qu’il ne tue pas, aime, vis-à-vis du prêtre catholique, avoir fait le geste de tuer : le curé de Rosières, coupable d’avoir touché à une horloge, est l’objet d’un faux jugement, d’une fausse parade d’exécution ; et puis on le relâche, mais on lui a fait peur, et l’on rit.

Pastour ! Pastour ! Dans certains régimens, ce seul mot excite la soldatesque. Le Pastour, c’est le représentant de cette civilisation latine que le germanisme méprise, de cette « superstition romaine » contre laquelle le germanisme se flatte d’avoir soulevé la Réforme ; c’est le ministre d’une confession qui n’est pas celle à laquelle affecte de s’apparenter la Kultur allemande. C’en est assez pour que se tendent, vers le visage du Pastour, les poings qui servent la Kultur. L’otage désigné, c’est lui, — lui avant tout autre, toujours lui ; et d’ailleurs, quand l’Allemand ne le désigne pas, il advient que le Pastour se désigne lui-même ; tel fut le cas de l’archiprêtre de Montdidier. « Vous empêchez les gens de venir à nous et vous entretenez le patriotisme : » voilà le grief dont s’armait l’Allemagne contre les prêtres de l’Artois ou de la Champagne ; et la morgue pédante de certains chefs, pour mieux dogmatiser encore, ramassait dans la phraséologie politique certaines formules de suspicion. « Un curé ne doit pas faire de politique, » signifiaient au doyen septuagénaire de Sompuis, avec un accent de jacobins, les officiers qui l’interrogeaient, et sous l’inculpation mensongère d’avoir eu dans son presbytère une installation téléphonique, on le traînait de village en village, abreuvé d’insultes, à tel point, notait un témoin, « qu’on eût dit Jésus-Christ dans sa Passion ; » et le pauvre vieillard, jeté comme une bête qui meurt, souillé de boue, de poussière et d’ordures, finissait par mourir.

Pastour ! Pastour ! Les aumôniers militaires, que leurs fonctions auprès des armées eussent dû rendre doublement sacrés, étaient victimes, à leur tour, des fureurs étranges que ce mot suscitait. Il y en eut deux, en août 1914, qui, dans un village de