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l’Eglise avait fui le monde, qui pour le service paroissial avait fui le mirage flatteur des prélatures romaines ; il se dévouait, corps et âme, aux humbles populations de l’Auvergne, trouvant dans l’élévation de son rang et dans sa dignité de prêtre deux raisons décisives de se faire leur serviteur. Il partit comme aumônier dès le début de la guerre. Il vit les boucheries de Lorraine, et celles de la Somme, et celles de la Belgique ; il fut cinq mois sans coucher dans un lit, plus d’un mois à coucher dans l’herbe, mais cette vie-là lui paraissait « bien attachante ; car on assiste, écrivait-il, à des retours admirables. » Il n’était pas encore content de lui, pourtant… « Je voudrais rendre plus de services à mes hommes, je voudrais surtout faire aimer le bon Dieu davantage, mais pour une œuvre pareille il faudrait être un saint, et je suis loin de l’être. » C’est le propre de la sainteté de s’ignorer ; elle n’existe qu’en s’accusant de ce qui la limite, et ne peut se complaire qu’en Dieu, vers qui la mort la fait monter… Trois citations, et la décoration de la Légion d’honneur, furent pour l’abbé de Chabrol des étapes de gloire, — d’une gloire pour lui trop humaine, et finalement il trouva la mort, qu’il ne cherchait ni ne fuyait.

Entre deux offensives, entre deux menaces de mort, l’aumônier, dans les cantonnemens de l’arrière, connaît parfois d’intimes joies sacerdotales. Je n’en ai trouvé nulle part un écho plus splendide que dans une page où l’abbé Thellier de Poncheville raconte la visite qu’il fit un jour à une compagnie de génie qui depuis trois mois n’avait pas vu de prêtre.


Les sapeurs rient à pleine gorge au seuil d’un logis qui s’intitule Les Increvables… J’entre dans une ancienne écurie de mulets transformée en salle à manger ; l’âne de Bethléem se retrouverait ici dans son étable. Mes pénitens, groupés à l’extérieur, s’approchent de moi l’un après l’autre. « Où c’est que ça se tient ? » me crie l’un d’eux en entrant. Je les guide par la main jusqu’au milieu de la pièce, où nous pouvons nous redresser tant bien que mal sous les chemises qui sèchent, pendues au fil de fer du plafond. La séance du confessionnal est terminée. La porte s’ouvre toute grande cette fois ; une douzaine de soldats s’avancent. Nous retrouvons l’émotion des premiers chrétiens lorsqu’ils se retiraient dans leurs cachettes souterraines pour la fraction du pain. La porte est close. Dehors, les camarades jouent aux cartes dans leurs cagnas. Sur la table encore graisseuse, où ils ont mangé tantôt, une toile détente se déplie, propre comme une nappe. Le souvenir d’Emmaüs s’évoque de lui-même à notre pensée. « Entrez dans notre pauvre abri, Seigneur, et restez avec nous, car il fait sombre sur la route où sont engagés nos pas. » La terre est trop humide