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D’avance, le prêtre accepte la mort, en demandant que son sacrifice soit efficace pour les autres, pour ceux qui resteront. « Notre âme, écrivait, peu de temps avant d’être tué, le jeune frère Ambroise Soudé, Dominicain, sera seule au monde à connaître le ravin où nous aurons roulé. Mais qu’importe si notre âme, emportant avec soi devant Dieu l’idéal très pur de la France, obtient le pardon des Français ! » L’abbé Perreyve voulait que les prêtres concertassent leur mort comme si elle était leur dernière messe, — une messe dans laquelle eux-mêmes s’offriraient, après avoir, au jour le jour, durant toute leur vie sacerdotale, offert le Christ. « Hier soir, écrit le jeune frère Lacour, Mariste, tué comme aspirant, l’invocation : « Cœur de Jésus, obéissant jusqu’à la mort, » me faisait penser, très instinctivement, à notre vie à nous. Ce sera notre consigne, notre devoir, il nous faudra être obéissant jusqu’à la mort. » L’esprit sacerdotal, s’élevant à de telles altitudes, salue la mort comme une sorte de parachèvement de cette ressemblance avec le Christ, à laquelle le prêtre aspire… Et c’est ainsi que des profondeurs mêmes de la pensée mystique a surgi tout d’un coup, sur notre sol de France, le prêtre soldat.

Un des organes étrangers qui, depuis deux ans, ont le mieux mérité de la France et de la vraie civilisation chrétienne, — le Journal de Genève, — publiait, dès le début de 1915, une étude de M. Samuel Rocheblave sur ce nouveau type de héros. « L’histoire nationale, y lisait-on, consacrera ce type, elle l’immortalisera. Quels cadres l’Eglise catholique de France ne fournit-elle pas aux armées de la République, et quels hommes 1 Comme un blessé me le disait hier : Pour le courage, il n’y a rien de tel que les curés. On dirait qu’ils ont le Diable au corps ! »

Le diable au corps, et Dieu dans le cœur : que faut-il de plus, pour un constant tête-à-tête avec la mort ?


II

Lorsqu’on porte la mort en même temps qu’on l’affronte, le péril grise, parfois, plus qu’il n’effraie ; et peut-être faut-il un surcroît d’énergie pour s’exposer au danger, passivement, dans la besogne de brancardier. Mais pour exceller en cette besogne, le sacerdoce chrétien n’a qu’à se souvenir qu’une parabole évangélique a flétri pour les siècles des siècles ce prêtre de