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circonstance, on n’aura pas « racheté » Trieste, tant qu’on n’aura pas abattu l’Autriche, mais qu’on n’aura pas abattu l’Autriche, tant qu’on n’aura pas, d’un commun effort, battu l’Allemagne. Trieste n’est pas autrichienne, elle est allemande : l’Italie sent trop finement et trop fortement pour ne pas le sentir. Ce n’est point sans doute pour échanger des congratulations que le général Cadorna et le général Joffre viennent de se rencontrer en Maurienne.

Nous ne nous donnerons pas le ridicule, aux yeux des Austro-Allemands, de paraître prendre au sérieux leur « libération » de la Pologne. Si les traités parfaits, signés et ratifiés, ne sont pour eux que des « chiffons de papier, » que peut valoir une proclamation, même avec accompagnement de hoch! de chants et de cloches sous des bannières déployées, qui n’est qu’une déclaration anticipée de futures dispositions ? Ce n’est pas une donation, mais seulement une promesse de donation, semée de clauses résolutoires et vide de toute clause exécutoire. Ou plutôt il y en a une, mais il n’y en a qu’une, et elle est à la charge de la Pologne « libérée. » Rien ne tient, ne se tient, ni ne sera tenu dans ce diplôme. Le royaume « reconstitué » n’a pas de frontières ; son aire territoriale n’est pas tracée ; il ne revêt pas un corps terrestre; il n’a pas de figure géographique. Il n’a pas de roi. L’Allemagne s’était trop hâtée d’annoncer le prince Léopold de Bavière; l’Autriche réclame pour son archiduc Charles-Etienne ; il y eut bien autrefois des alliances avec des Wittelsbach, mais récemment encore, la maison de Habsbourg, grande marieuse, — Tu felix Austria ! — mariait de ses filles à des princes polonais, il n’a pas de constitution, sans vouloir dire pas de franchises ou de garanties, en disant simplement pas d’organes, pas d’institutions, pas de lois fondamentales, pas de lois, pas de droit. Cette ombre de royaume n’a pas même une ombre de vie; il naît, si c’est là naître, tout enveloppé de l’ombre de la mort. « L’État autonome sous la forme d’une monarchie héréditaire constitutionnelle, » en tant que substance et consistance, est pour plus tard : pour le moment, il est purement verbal; il n’y a ni autonomie, ni monarchie, ni hérédité, ni constitution, ni forme d’État, ni définition d’État : « la désignation plus exacte des frontières du royaume de Pologne est réservée ; » par suite, il n’y a point d’État. Quant à l’autonomie de cet État qui n’existe pas, « le nouveau royaume trouvera dans ses relations avec les deux Puissances alliées (l’Allemagne et l’Autriche) les garanties nécessaires pour le libre développement de ses forces ; » c’est donc une autonomie enchaînée avant son