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sous peine de restreindre irréparablement la portée de l’œuvre romanesque où l’on s’aviserait de les introduire. C’est ainsi que dès maintenant, j’en suis sûr, un bon nombre de compatriotes de M. Wells seront embarrassés de saisir pleinement l’intérêt de plus d’un chapitre de son dernier livre où ils verront les personnages occupés à discuter telle petite crise intérieure du ministère anglais, tel projet de loi voté par les Communes à la veille ou au lendemain du début de la guerre. Et que l’on pense à l’effort de mémoire qu’exigeront des chapitres comme ceux-là lorsque, l’année prochaine, d’autres lecteurs anglais désireront connaître l’histoire du retour décisif de M. H. G. Wells aux sentimens profonds, immortels, de sa race !


Mais il faut que je me hâte d’arriver moi-même à l’histoire de ce retour, — telle que nous l’a présentée M. Wells sous le voile transparent d’une fiction d’ailleurs infiniment simple. Car, pour simple et « ordinaire » que soit, en effet, l’aventure qui constitue la « fable » du roman, encore dois-je avant tout déclarer que ni cette aventure, ni sans doute l’homme de lettres anglais qui en est le héros ne peuvent être regardés expressément comme « autobiographiques. » Le portrait de M. Britling, — autant du moins que j’en puis juger, — est loin de répondre exactement à la personne de son peintre ; et je ne crois pas non plus que la « conversion » de ce dernier ait eu pour motif principal, comme celle du modèle qu’il vient de nous peindre, la mort d’un jeune fils tombé vaillamment dans les plaines de Flandre. Mais, avec tout cela, rien ne nous empêche d’admettre que M. Wells ait redit pour son compte la touchante parole prêtée par lui à son M. Britling, dans l’épilogue de son roman : « Ce sont nos fils qui nous ont appris Dieu ! » Et qu’importent, en vérité, les différences extérieures qui se font voir à nous entre les deux figures du modèle et du peintre, lorsque à chacune des pages nous les sentons, toutes deux, frémissantes de la même fièvre d’angoisse et d’orgueil et de noble espérance patriotiques, lorsque de proche en proche nous assistons, dans l’âme délicieusement subtile et naïve de M. Britling, aux étapes quotidiennes de la même « conversion » que nous ont révélée par ailleurs, depuis deux ans, les articles, les brochures, ou les livres de M. Wells !


Encore cette ressemblance même ne va-t-elle pas sans quelques réserves ; et l’on ne saurait douter, par exemple, de l’intention tout « objective » de M. Wells lorsqu’il nous fait assister à la première de ces étapes de la « conversion » de son M. Britling. Car celui-ci a beau