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nécessaire de la doctrine : « Je souhaite du bien à tous les peuples, à tous les hommes, et ma politique est très simple. Je crois que chaque nation a le droit d’établir la forme du gouvernement dont elle attend le plus de bonheur, pourvu qu’elle n’enfreigne aucun droit et ne soit pas dangereuse pour les autres pays. Je pense qu’aucun gouvernement n’a le droit d’intervenir dans les affaires intérieures d’un peuple étranger, si ce n’est pour sa propre sécurité[1]. »

On peut apprécier, maintenant, quelle est la valeur réelle du principe des nationalités avec son double idéal : « liberté des peuples, » « unité de l’Europe, » et sa limite : « respect et sécurité pour les autres peuples, » tel qu’il était conçu par les hommes de 1848 ; mais on peut se rendre compte aussi de la déviation que firent subir au principe les « machiavélistes » qui s’en emparèrent.

Napoléon III fut, en ce point comme en beaucoup d’autres, le précurseur de Bismarck. Trouvant le « mythe » dans son héritage, il y accrocha son ambition de prétendant : dans les Idées Napoléoniennes, il donne, en ces termes, la formule de la politique extérieure bonapartiste : « La politique de l’Empereur consistait à fonder une association européenne solide, en faisant reposer son système sur des nationalités complètes et sur des intérêts généraux satisfaits. » Par ces simples paroles, il attachait à son char toutes les revendications traînant dans l’univers. Il fut le candidat des chercheurs de patrie, avec tout ce que cela comportait de sentimens généreux, d’engagemens formels ou tacites, de risques immédiats ou lointains.

On sait quel fut le terrible dilemme où fut acculé Napoléon III par le principe des nationalités, quand il se trouva en présence de l’unité allemande telle que Bismarck l’avait machinée. Celui-ci détroussa son précurseur et du système et du bénéfice.

Depuis longtemps, les hommes avertis avaient signalé, sous le courant qui portait l’Allemagne vers l’unité, le dangereux bas-fond de l’ambition prussienne. Cette ambition profita avec une habileté surprenante des souvenirs que la guerre contre Napoléon Ier avait laissés au cœur de l’Allemagne. La Prusse, qui avait été la plus ardente dans la lutte contre le « tyran, »

  1. Lettre de Washington à La Fayette du 25 décembre 1778, citée par Emile Ollivier, L’Empire libéral, I, p. 171.