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REVUE DRAMATIQUE


LA COURSE DU FLAMBEAU à la Comédie-Française



La Comédie-Française vient d’inscrire à son répertoire la Course du Flambeau. Elle le devait. L’œuvre maîtresse du théâtre de Paul Hervieu est aussi bien une des maîtresses œuvres du théâtre moderne. Après quinze ans, elle est consacrée, sinon par le succès de représentation, du moins par l’admiration des connaisseurs. Dure, âpre, douloureuse, elle fait songer moins au Demi-Monde et au Gendre de Monsieur Poirier qu’aux Corbeaux, mais, comme les Corbeaux, comme le Gendre de Monsieur Poirier, comme le Demi-Monde, c’est le spécimen accompli d’un genre. Le théâtre pessimiste a trouvé dans cette pièce cruelle sa plus complète expression. Désormais, on la jouera plus ou moins souvent, on la goûtera plus ou moins suivant l’époque et les tendances du moment, on en aimera, on en détestera l’esprit, on en critiquera certains rôles et certaines scènes ; mais l’œuvre dans son ensemble restera incontestée, comme un monument durable et qui fait partie de l’histoire de notre théâtre.

On l’a définie : une tragédie moderne. C’est, en effet, une tragédie antique dans un décor moderne de bourgeoisie française. Ce qui caractérisait la tragédie chez les Grecs, c’était essentiellement l’action du Destin. La Fatalité planait invisible au-dessus des personnages qu’elle acheminait, à leur insu et malgré eux, vers des fins inéluctables. Elle est aussi bien présente dans ce drame du XXe siècle, où l’auteur a voulu que la comparaison avec les coureurs des lampadophories mît un parfum d’antiquité. C’est elle qui fait de Sabine Revel une parricide, comme jadis elle avait armé contre un père le bras d’Œdipe.