Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous verrons de vives critiques se faire jour sur l’application.

Jugeons à présent de l’effort total demandé au contribuable du Royaume-Uni depuis deux ans. Le budget de 1914-15 avait été fixé avant la guerre à 207 millions de livres sterling ; grâce aux élévations d’impôts de M. Lloyd George, il se solda par 226 millions et demi de recettes, à l’exclusion de tout emprunt. Celui de 1915-16 se monta en recouvremens à 336 millions et demi contre 1 559 millions de dépenses. Enfin celui de 1916-17 est établi en prévisions de dépenses à 1 825 millions, et en prévisions de recettes à 509 millions : ceci représente en deux ans une augmentation des charges fiscales de plus de 300 millions de livres sterling (7 milliards et demi de francs). L’énormité du coût de la guerre fait que l’Angleterre elle-même n’a pu couvrir qu’une part relativement faible de son total de dépenses par l’impôt et les ressources ordinaires ; pourtant cette part a atteint 21 pour 100 en 1915-16, elle atteindra 28 pour 100 en 1916-17 ; elle s’élèverait à 27 pour 100 pour 1915-16 et à 37 pour 100 pour 1916-17, si du total des dépenses on déduisait, comme il serait juste, les avances aux colonies et aux États alliés. — Pareil effort fiscal est inouï et sans précédent. De tous les États qui depuis cinquante ans ont subi l’épreuve d’une grande guerre nationale, c’est le Japon qui a su, dans sa lutte contre la Russie, élever le plus ses impôts (40 pour 100) ; cela ne lui a pourtant permis de couvrir que 12 pour 100 de ses frais de guerre. Aujourd’hui l’Allemagne, qui pourtant avait bien préparé sa guerre, et qui n’a pas encore son sol envahi, vient seulement de se résoudre à faire un timide essai de fiscalité nouvelle ; M. Helfferich, le grand financier de l’Empire, tirait même vanité dans un récent discours de ce que l’Empire avait pu se passer de surcharges d’impôts, et, par une lourde ironie teutonne, s’ingéniait à ridiculiser l’effort financier anglais, dont les résultats n’auraient pas répondu aux espérances : sans doute ils sont trop verts ! La vérité est que le sacrifice que s’est imposé l’Angleterre est absolument exceptionnel, et qu’elle est bien le seul pays au monde qui ait pu, si l’on ose dire, s’en « payer » un pareil. Si elle l’a pu, c’est à raison de conditions toutes spéciales qu’on ne retrouverait nulle part ailleurs : c’est par le fait (il faut toujours y revenir) de son insularité protectrice, avec toutes les conséquences qui en sortent ; c’est que sa situation financière antérieure était meilleure,