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adressaient avant terme à la Trésorerie leur solde d’impositions avec des lettres d’un patriotique empressement. Ce sont les contribuables qui, par esprit public, demandent plus de contributions ; ce sont les taxés qui, pour le bien commun, veulent être surtaxés. Manifestations de politiciens, surenchères de socialistes ? Les socialistes, en effet, ont pris souvent la parole à Westminster en faveur de l’impôt ; M. Snowden a même proposé de combler tout le déficit de guerre au moyen d’une taxe de 75 pour 100 sur le revenu des riches. Je doute que cette voix ait beaucoup porté. Moins assurément que celle de tant de libéraux et de conservateurs qui ont insisté au Parlement pour une hausse équitable de l’impôt ; celle du Times ou des grandes revues comme le Nineteenth Century, faisant écho à celle du champion du libéralisme orthodoxe, M. Harold Cox qui, dans l’Edinburgh Review de juillet 1915, prônait comme le devoir actuel une « lourde » taxation ; celle de l’Economist qui traitait les atermoiemens de « faiblesse déplorable, » ou celle de ce représentant du haut commerce qui, à la Chambre, stimulait le gouvernement en disant qu’il regretterait de le voir passer à la postérité avec cette épitaphe, « le gouvernement Trop-Tard[1] ; » celle enfin de ces financiers et City men tels que lord Saint-Aldwyn, sir F. Banbury, sir F. Schuster, etc., qui vinrent au mois de juillet en députation officielle trouver le premier ministre pour lui exposer les raisons qui militaient en faveur d’une juste élévation des impôts. Aussi M. Mackenna put-il « déclarer aux Communes, non sans fierté, le 23 septembre 1915, qu’ « il était sans exemple jusqu’alors que, dans aucune grande guerre, un pays se soit de lui-même levé pour demander à être imposé : nul meilleur présage du succès final ! »

Sans doute, dans ce concert de doléances d’un nouveau genre, il s’est produit des dissonances, ou du moins des réserves. On a fait observer qu’il y a des limites aux forces imposables du pays, et qu’à les dépasser on arriverait vite à la taxation « genre suicide, » comme disait M. Asquith ; que d’ailleurs tout ce qu’on prend à la nation par l’impôt, c’est autant de moins à en tirer par l’emprunt, dont on affaiblit la productivité par abus de la fiscalité ; qu’enfin il serait très injuste de vouloir, sous prétexte de justice, faire supporter à la génération

  1. The too late government (jeu de mots sur les mots late et too late).