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Pour elle, à leur tour, ils feront quelque chose, les soldats de la grande guerre. Ils lui fourniront — en quelle abondance ! — des thèmes et des « situations, » des sentimens et des personnages que jusqu’ici peut-être elle n’a pas chantés. Ils ajouteront des cordes à sa lyre, cordes d’argent ou d’airain, et des voix, d’amour ou de haine, à ses chœurs. Les conditions changées de la guerre en changeront la représentation musicale. Entre les soldats et la musique, de nouveaux rapports apparaîtront, des raisons nouvelles de sympathie et de réciproque amour. Elle aura fait campagne avec eux ; avec eux elle aura « servi, » si bien et si longtemps ! Ardente comme eux au combat, à l’assaut, elle aura, « dans les tranchées, » « au cantonnement, » été patiente comme eux. Tantôt elle aura retenu son souffle et tantôt donné toute sa voix. Que dis-je ! toutes ses voix. Humaines et divines, voix de l’héroïsme et de la prière, voix des armées innombrables ou de quelques soldats, d’un seul peut-être ; voix des cités martyres et des temples en flammes, des pays en deuil et des nations fugitives, quels concerts inouïs nous prépare l’avenir ! Que nos musiciens, d’avance, y prêtent l’oreille. Qu’ils se recueillent et se préparent. Je connais déjà, pour eux, un thème digne d’eux, mais qu’il me faut taire encore. L’œuvre littéraire est toute prête. Dramatique et lyrique avec puissance, la guerre, la guerre seule, mais toute la guerre, en forme le sujet ou le cœur, « le cœur innombrable. » A des parties et comme à des fresques d’épopée, elle mêle des tableaux de genre ; aux « ensembles » grandioses, les épisodes intimes et les détails familiers. Sujet, encore une fois, digne de nos musiciens. Puisse l’un d’eux, bientôt, en être digne. Exoriare aliquis. L’heure approche, l’heure victorieuse et vengeresse. Il faut, dès qu’elle sonnera, que sa voix éveille et renouvelle toutes nos voix. Alors le vœu du poète sera plus qu’exaucé. Alors, à la France délivrée et triomphante, nous amènerons non seulement « la jeune poésie, » mais la jeune musique elle-même,

Chantant la jeune liberté.


CAMILLE BELLAIGUE.