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les soirs nous faisons concert aux poilus et nous leur jouons des airs d’opéra qu’ils écoutent rêveurs, un peu tristes peut-être de ne pouvoir saisir entièrement une première fois toute la beauté d’une page de Samson et Dalila, par exemple, ou de l’andante de la symphonie en ut mineur, de Saint-Saëns. Avec nos cuivres et nos bois, nous essayons de rendre cette grande musique.

« Mais je m’arrête. Comme ma voix doit sonner mal à vos oreilles ! Pauvre profane ! A peine je peux dire tout mon amour de la musique… Dieu a certainement protégé notre « musique » à nous, puisque dans ce secteur infernal nous n’avons eu qu’un blessé et deux évacuations. Je connais « des musiques » qui, dans le même temps, comptaient vingt morts et blessés, d’autres une quinzaine, une douzaine. Sur l’effectif de trente-huit, cela se connaît douloureusement.

« Agréez, etc.

« Votre serviteur très fidèle, qui joue de la clarinette en si bémol. »

Il avait raison, notre blessé de l’hôpital. « Ce qui chante » ne fut jamais plus beau qu’aujourd’hui. Jamais la musique ne fut élevée à une mission plus haute, plus sainte. Jamais il ne lui fut donné d’accroître ou de ranimer la vie, une vie plus noble, en de plus sublimes cœurs. Aussi bien, venant parmi les soldats, c’est parmi ses frères qu’elle vient. De tout temps, elle leur fut unie par une attache étroite et fidèle. Sa vocation religieuse n’a d’égale que sa vocation guerrière. Servante de Dieu et de l’Eglise, elle ne l’est pas moins de la patrie. Compagne des soldats, même pendant la paix, à la guerre et par la guerre son rôle s’étend et s’élève. Art héroïque entre tous, elle est le seul qui dans la mêlée, devant le péril, en face de la mort, mérite une place et l’obtienne. Elle va plus loin : elle escorte, elle honore de ses marches funèbres, au-delà du trépas, les héros qu’elle y a conduits. S’ils y ont échappé ; sans mourir pour la patrie, quand ils ont souffert, et tant qu’ils souffrent pour elle, la musique leur doit encore son hommage et son secours. Quelques exemples nous ont fait voir comment elle le leur apporte. Avec Shakspeare, admirant les bienfaits, les miracles qu’elle prodigue, c’est bien le cas de s’écrier : « Tu fais cela, musique ! » et d’ajouter, au nom de nos soldats bien-aimés, soutenus et consolés par elle : « De cela, de cela surtout, sois remerciée et bénie ! »