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que les obus en fonte. On arrive ainsi à faire tenir jusqu’à 30 pour 100 de leur poids dans certains obus allongés en acier. Mais l’acier est plus dur et plus difficile à préparer, et si on utilise beaucoup d’obus en fonte, c’est qu’il faut faire flèche de tout bois… de tout fer, veux-je dire.

De tout cela résulte enfin, que si un gros obus est plus efficace que plusieurs petits de même poids total, c’est qu’il peut contenir un volume plus grand d’explosif, l’épaisseur de ses parois, n’étant guère supérieure à celle des petits qui doivent comme lui résister à la percussion, d’où résulte qu’une fraction beaucoup plus grande de son volume reste disponible pour l’explosif. Et c’est pourquoi 500 kilos de gros obus contiennent plus d’explosif que 500 kilos d’obus de petit calibre.

Telles sont brièvement esquissées, autant qu’on peut le faire sans s’enlizer dans des développemens techniques ardus, les principales raisons qui font du canon lourd le maître véritable, le roi de la bataille moderne.

En vérité, lorsqu’on jette sur le passé un de ces coups d’œil qui nous montrent des ondulations monotones et toujours pareilles de l’horizon humain, on voit que dans ces monstrueux et puissans engins qui portent la mort libératrice à des distances énormes, il n’y a rien que l’application perfectionnée d’idées déjà anciennes.

Nos lointains ancêtres, du temps où la guerre n’était qu’une bagatelle et où quelques pauvres centaines d’hommes hors de combat suffisaient à décider du sort des empires, avaient déjà des canons lourds. Dès le XVe siècle, on avait des bombardes lançant des boulets de plusieurs centaines de livres : le gros canon de Gand, fondu vers 1450, lançait un boulet de 360 kilos, et une des bombardes du duc de Bourgogne expédiait à bonne distance des boulets de pierre du poids de 900 livres. Si on a diminué ensuite le volume et le poids des pièces, c’est que les progrès de la balistique ont permis d’obtenir, grâce à une vitesse initiale plus grande, les portées utiles, sans être obligé de recourir aux lourds projectiles qui se jouent mieux de la résistance de l’air.

Si on est revenu aux grosses pièces, c’est en somme surtout parce que les portées utiles ont augmenté, grâce à l’observation aérienne. On a alors combiné la plus grande vitesse initiale avec le plus gros projectile. De là est né le canon lourd présent.