Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’exposer : le souple 75, considéré naguère à cause de sa légère mobilité et de son tir rapide comme l’arme d’attaque par excellence, se trouve être, à la lumière crue des faits, un outil offensif médiocre et l’instrument le plus merveilleux de la défensive. C’est lui qui, sur l’Yser, sur la Marne, et lors de la ruée allemande sur Verdun, a sauvé la situation par son efficacité d’engin d’arrêt. Les mastodontes de l’artillerie lourde qu’on croyait devoir être confinés dans les forteresses se trouvent au contraire être les outils indispensables du mouvement en avant et de l’attaque, ceux sans lesquels celle-ci ne peut être efficacement « préparée. »

Etrange renversement des rôles, étrange culbute des théories aprioristes, et qui doit nous inspirer plus que jamais l’horreur du dogmatisme volatil des systèmes, le respect de l’expérience et du fait !

Et pourtant… en cherchant bien, on trouverait peut-être dans ce paradoxe si nouveau l’odeur surannée qu’ont les fleurs desséchées oubliées dans les pages d’un vieux livre jauni. N’est-ce pas en effet Vauban qui, dans son inédit Traité de la fortification de campagne, a écrit ceci : « Toutes canonnades qui ne peuvent pas nettoyer le derrière des parapets et des épaulemens sont inutiles, attendu qu’elles ne peuvent déplacer les troupes ni par conséquent favoriser l’attaque. »

N’est-ce pas là, saisie en un raccourci prophétique, toute la claire vision des causes qui devaient rendre indispensable l’artillerie lourde pour déplacer les troupes et par conséquent attaquer ?


Cette phrase du grand Vauban nous amène enfin à considérer un dernier aspect du problème de l’artillerie lourde. « Nettoyer le derrière des parapets et des épaulemens » s’obtient non seulement en les détruisant par les « canonnades, » mais aussi en tirant des coups de canon qui, plongeant derrière eux, rendent leur protection fallacieuse et illusoire l’abri qu’ils procuraient à la troupe.

Autrement dit, il faut, dans certains cas, pouvoir tirer derrière des objectifs défilés, troupes ou batteries. Et comme, dans cette guerre, on défile le plus possible les hommes et les canons et les dépôts divers, de matériel, derrière des crêtes ou des plis