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lourdes que les canons de lancer des projectiles équivalens, pourquoi emploie-t-on et fabrique-t-on encore des canons ? Quelle est, à côté de l’artillerie de tranchée, la nécessité de l’autre ? Et dans celle-ci pourquoi l’artillerie lourde a-t-elle pris un rôle qui échappe aux limites d’action de l’artillerie de campagne même multipliée ? C’est ce qu’il me reste à examiner.

Sans parler même de la lenteur relative et de la faible précision de son tir, sans parler de la faible vitesse initiale de ses projectiles qui fait que le coefficient « vitesse, » pourtant si important, n’intervient guère dans leurs effets, il est une faiblesse qui limite étroitement l’action de l’artillerie de tranchée, c’est la petitesse de sa portée utile. Avec elle on ne peut agir qu’à très petite distance. Cela laisse invulnérable tout ce qui est derrière une bande étroite que j’appellerai, si on veut me le permettre, l’épiderme du front ennemi, et cela ne permet pas d’atteindre les voies de ravitaillement qui sont les artères et les veines irriguant ce front, ni les centres nerveux qui commandent ses réactions, postes de commandement, nœuds de chemin de fer, abris des munitions et des réserves.

Seule l’artillerie proprement dite peut porter assez loin et jusqu’en pleine chair dans la masse ennemie le désordre et la mort.

Enfin, dans l’artillerie elle-même, les pièces lourdes se sont, dans cette guerre, montrées d’une efficacité écrasante et bien supérieure à celle des pièces légères de campagne. Lorsque, dernièrement, « Herr Professor » Rausenberger, qui est un des directeurs des usines Krupp, déclarait que les principaux avantages obtenus par ses compatriotes étaient dus à leur supériorité en artillerie lourde, il énonçait un fait incontestable, encore que pas assez prévu. Un professeur allemand est capable de beaucoup de choses, même de dire parfois la vérité. C’est ce qui est arrivé ce jour-là.

Pourquoi un adversaire démuni d’artillerie lourde est-il, comme on dit dans l’élégant jargon des sports, « handicapé » par celui qui en est mieux pourvu ? C’est surtout, — à côté d’autres raisons que nous verrons, — parce que les gros canons tirent beaucoup plus loin, toutes choses égales d’ailleurs, que les petits. C’est-à-dire que, si l’on prend deux canons dont l’un soit la réduction exacte de l’autre, — et qu’on donne à leurs projectiles la même vitesse initiale, — le plus petit portera