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et les raisons d’être respectives des divers engins, canons légers et canons lourds, obusiers et mortiers, gros et petits calibres, canons de tranchées, dont la gamme étrangement variée fait qu’aujourd’hui un canonnier complet doit être une sorte de Pic de la Mirandole, ou plutôt, — soyons modeste ! — une façon de Maître Jacques.

La plus continuelle des besognes de l’artillerie est, comme nous avons vu, d’inquiéter et d’empêcher si possible le ravitaillement de la ligne ennemie, ravitaillement en munitions de toutes sortes, — les alimens sont aussi des manières de munitions ; — en matériel et aussi en « matériel humain, » comme disent les stratèges de Berlin. Pour cela, il est indispensable que les batteries soient renseignées exactement sur les temps et lieux de ces ravitaillemens ; comme d’ailleurs elles doivent elles-mêmes n’être pas trop près de la première ligne, par suite des nécessités du défilement, pour éviter d’être trop facilement repérées et trop vulnérables, et aussi pour faciliter les accès de leur propre ravitaillement, il est indispensable qu’elles aient des observateurs avancés qui les renseignent sur leurs objectifs et règlent leur tir.

Ces observateurs se tiennent soit dans les tranchées de première ligne, soit dans des points élevés convenablement choisis. Ils sont l’œil de la batterie, œil situé très en avant, et la batterie est à cet égard un peu comme ces crustacés pédoncules ou podophlalmiques qui portent leur organe visuel au bout d’une longue antenne. Etant donnée la rareté du personnel nécessaire, les meilleurs observateurs de première ligne pour l’artillerie sont encore les fantassins de la tranchée avancée, et c’est ainsi que s’est établie, peu à peu, une « liaison » intime et utile entre les deux armes. Cette liaison du canon avec ses observateurs, on la réalise généralement par téléphone, à moins que l’intensité du bombardement déchiquetant sans cesse les fils sans cesse réparés, oblige comme à Verdun à recourir aux signaux optiques, dont les fusées sont une forme, ou simplement aux coureurs, à ces agens de liaison dont l’héroïsme solitaire est plus beau que celui du coureur de Marathon, car ils n’annoncent pas la victoire, ils la préparent, ils ne courent pas loin d’une mêlée terminée, mais ils se précipitent tête baissée dans l’homicide rideau des tirs de barrage.

Dans la plupart des cas d’ailleurs le téléphone suffit à cette