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allemand : et ces siècles ont connu les longues guerres françaises contre la domination de la Maison d’Autriche. Une famille personnifiait, alors, la volonté de domination et de conquête de l’Allemagne, c’étaient les Habsbourg, adversaires permanens et déclarés des « libertés germaniques » et des libertés européennes. Hippolyte de la Pierre parlait au nom de tous les Allemands qui n’étaient pas hobereaux, fonctionnaires ou stipendiés, quand il écrivait en 1640 : « Que tous les Allemands tournent leurs armes contre cette famille, pernicieuse à notre Empire, à nos libertés ancestrales, loyale envers personne, sauf envers elle-même… contre la Maison d’Autriche, je la nomme… Qu’elle soit expulsée d’Allemagne comme elle l’a mérité. Que ses domaines, dont elle a poursuivi l’agrandissement grâce à l’Empire et qu’elle possède sous l’autorité de l’Empire, soient remis au fisc. S’il est vrai, comme l’a écrit Machiavel, qu’il existe dans chaque État des familles fatales qui naissent de la ruine même de l’État, à coup sûr, cette famille est fatale à notre Allemagne[1]… » Les traités de Westphalie représentent un effort fait par l’Europe pour arracher l’Allemagne à cette fatale erreur de la domination rêvée par une dynastie allemande.

Le système employé pour arriver à cette fin fut le suivant. Remontant aux traditions du Moyen Age, on admettait que l’Empire n’était qu’une très haute personne morale planant, en quelque sorte, au-dessus de la souveraineté d’un grand nombre d’États faibles. En fait, la prérogative impériale était et devait être presque uniquement d’honneur. Les États, — 350 environ, — reçurent « le libre exercice de la supériorité territoriale, tant dans les choses ecclésiastiques que dans les politiques, » c’est-à-dire qu’ils furent considérés comme souverains dans l’Empire : ce privilège qui leur était reconnu constituait ce qu’on appelait « les libertés germaniques. » D’après le texte du traité, « personne ne pouvait jamais, sous quelque prétexte que ce fût, troubler ces souverains, grands ou petits, dans la possession de cette souveraineté. » On disait, de ces États, qu’ils étaient « clos » à l’autorité de l’Empereur. Mais, comme il fallait une force pour assurer ces multiples indépendances, on la constituait, tout d’abord dans l’Empire, en groupant ces souverainetés un peu faibles et précaires, et en plus on la

  1. Cité par Auerbach dans son excellente étude : La France et le Saint-Empire Romain Germanique, II. Champion, 1912, in-8, p. XIV.