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Mais, comme l’avait prévu Talleyrand dès 1814, les ambitions de la Prusse ont rompu l’équilibre et ont détourné l’Allemagne de la solution « européenne, » qui était cherchée en conscience et bonne foi partons, vers le milieu du XIXe siècle. Au lieu de mettre l’Allemagne en harmonie, la solution prussienne l’a mise en antagonisme avec l’Europe. La suite des événemens a rendu cette conséquence plus claire que la lumière du jour.

L’Allemagne, située au milieu de l’Europe, empêche toute vie européenne si elle ne s’articule pas à l’existence commune. De Kiel au Danube ou à l’Adriatique, elle fait barrage, pour ainsi dire, et intercepte les communications, les échanges, les pénétrations mutuelles. Cet obstacle ne pourrait être levé que si l’Allemagne se prêtait à un sage et prudent aménagement de la vie commune. Par quel singulier égarement s’est-elle dérobée à cette mission qui lui était imposée par la nature ?

La difficulté de cette lente croissance des peuples qui s’appelle l’histoire, l’aveuglement des hommes, un bouffissement d’orgueil militaire que les faveurs de la fortune ont gonflé encore, tels sont les faits circonstanciels qui ont éloigné l’Allemagne de ce beau rôle dont elle a eu, pourtant, à certains momens, l’intuition.

Le fait est que, le plus souvent, sa situation prédominante au centre de l’Europe lui apparut, non comme un moyen de pacification, mais comme un instrument de domination. De « pacifique, » l’Empire, par une pente presque fatale, devenait ou redevenait « militariste. »

C’est cette tendance de l’Allemagne, cette « volonté de proie » de certains de ses élémens à certaines époques, qui était signalée par les négociateurs français, dès le Congrès de Westphalie, et à laquelle ils s’efforçaient de parer. Visant alors la maison d’Autriche, ils écrivaient, comme préambule aux discussions du Congrès : Jamdin circumfertur Domum Austriacum Europæ monarchiam moliri, basim tanti Ædifîcii constituere in summo dominatu Imperii Romani, sicut in centro Europæ. « Il est certain que la maison d’Autriche tend à la monarchie européenne en prenant pour base la puissance qu’elle a encore sur le Saint-Empire romain germanique et la position qu’elle occupe ainsi au centre de l’Europe. »

Vienne fut, pendant des siècles, la capitale de l’impérialisme