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À cette lettre Eugène fit la réponse suivante[1] :


Monza, le 10 septembre 1807.

« J’ai reçu, ma bonne mère, la lettre que tu m’as écrite par Bataille. Elle m’a fait le plus grand plaisir. J’y ai vu que tu étais tranquille, que tu méprisais les méchans et que l’Empereur continuait à être bon pour toi. Tu n’auras jamais rien à redouter de lui, parce que l’Empereur, en lui-même, méprise ceux qui lui donnent de mauvais conseils.

« On a beaucoup parlé de divorce ; je l’ai su de Paris et de Munich, mais j’ai été content de ta conversation avec l’Empereur, si elle, est telle que tu me l’as fait rendre. Il faut toujours parler franchement à Sa Majesté. Faire autrement serait ne plus l’aimer. Si l’Empereur te tracasse encore sur des enfans, dis-lui que ce n’est pas bien à lui de te reprocher toujours des choses semblables. S’il croit que son bonheur et celui de la France l’obligent à en avoir, qu’il n’ait aucun égard étranger. « Il doit te bien traiter, te donner un douaire suffisant et te permettre de vivre auprès de tes enfans d’Italie. L’Empereur fera alors le mariage que lui commanderont sa politique et son bonheur. Nous ne lui en resterons pas moins attachés, parce que ses sentimens ne doivent pas changer pour nous, quoique les circonstances l’aient obligé à éloigner de sa personne notre famille. Si l’Empereur veut avoir des enfans qui soient à lui, il n’a que ce seul moyen ; tout autre serait blâmé et l’Histoire en ferait justice. D’ailleurs, il a trop travaillé pour elle pour qu’il laisse un seul feuillet à déchirer à la postérité.

« Tu ne dois donc craindre ni les événemens ni les méchans. Ne tracasse pas l’Empereur et occupe-toi de régler tés dépenses intérieures. Ne sois pas si bonne avec tout ce qui t’entoure, tu en serais bientôt la dupe.

« Pardonne-moi, ma bonne mère. Je m’emporte à te parler raison et à te donner des conseils lorsque moi-même j’en ai tant besoin. N’y vois pourtant, je te prie, qu’une preuve de plus de ma tendre affection pour toi et n’oublie pas que les sentimens que t’ont voués tes enfans sont au-dessus de tous les événemens. »

  1. J’ai publié dans Joséphine répudiée des fragmens de cette lettre que possède S. M. l’Impératrice Eugénie, mais il me paraît qu’elle prend sa valeur de la lettre de Joséphine publiée pour la première fois.