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l’affection très tendre qu’il avait pour sa mère, tout son avenir était en jeu. Il s’était déterminé à expédier un courrier ; et ce courrier était revenu sans une lettre de l’Impératrice, mais avec une lettre de l’inspecteur des postes attaché à son voyage. Eugène écrit alors à sa mère, cette lettre, la seule dont on ait retrouvé une copie dans ses papiers. Le cas en effet peut bien passer pour unique.


« Le retour de mon courrier m’a donné bien du chagrin et j’aime trop tendrement ma bonne mère pour le lui cacher un seul moment. J’étais déjà bien affligé de n’avoir pas reçu depuis six semaines de ses nouvelles. N’est-il pas cruel, quand on adore sa mère, de rester un aussi long espace de temps sans un mot d’elle, sans même un mot de sa part ? J’ai donc appris par les gazettes de Paris son départ de Strasbourg, son passage à Stuttgart et finalement son arrivée à Munich. Mille bruits divers sont venus frapper mon oreille : je n’en ai cru aucun, m’en rapportant entièrement sur le cœur et la tendresse de ma mère. Pourquoi faut-il que mon espoir ait été trompé ? Aujourd’hui donc arrive mon courrier en retour ; il avait été dépêché 1° pour annoncer à ma bonne mère la profusion des bontés de l’Empereur à mon égard ; 2° pour porter à ses pieds les hommages dus à sa mère au premier jour de l’année, hommages de sentimens que je suis heureux de lui répéter et que je sens bien vivement. Eh bien ! le courrier m’apporte la nouvelle officielle de mon mariage, et cette nouvelle m’est annoncée officiellement par un inspecteur des postes. Pas un mot des dix mille personnes qui sont auprès d’elle et qui eussent rempli avec intérêt cette commission. Je ne suis pas chagrin pour l’inconvenance ; elle ne peut être et n’est que bien involontaire chez ma bonne mère ; mais à quoi je ne puis penser sans la plus vive douleur, c’est que je suis privé depuis sept semaines de nouvelles de l’Impératrice. Il faut tout mon attachement pour son auguste personne pour pardonner son oubli. Que les plaintes seulement soient permises au plus tendre comme au plus respectueux des fils. »