Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes qui connaissaient le pays et qui purent relever sur le terrain la marche des armées, ne s’y trompèrent pas. L’officier de dragons, auteur de la Victoire de Lorraine, écrit, visant la trouée de Charmes :


C’est là que les Allemands vont foncer, comme le bélier antique, pour faire une brèche. Nous comprenons vaguement leur plan : nous l’avons mieux vu plus tard ; par la Belgique, ils sont arrivés devant Paris. Par la trouée de Charmes, une autre armée devait menacer, sur son aile droite, notre armée qui reculait du Nord, opérer sa jonction avec le reste de l’armée du kronprinz qui envahissait l’Argonne, nous envelopper, cantonner comme tous les corps prussiens, à Paris[1].


M. Maurice Barrès, en octobre 1914, quand il rentra chez lui, dans son « jardin de Lorraine » situé justement en pleine trouée de Charmes, a le sentiment profond de ce qui s’est passé sur le seuil de sa maison :


Nous sommes sur les chemins mystérieux du monde, la route de l’esprit, le sentier de guerre… Je vais tout droit jusqu’à la mairie : « — Bonjour, monsieur le maire ! Les Prussiens ne sont tout de même pas arrivés dans Charmes. — Ils n’en étaient pas bien loin ! Le 23 août, à 11 heures du soir, on installait nos mitrailleuses à l’entrée du pont ; on massait les autobus pour faire une barricade… à 10 kilomètres d’ici entre Saint-Rémy et Rozelieures, on se battait furieusement… Ah ! nous avons été bien défendus. » Et tout aussitôt, le cantique s’élève, l’action de grâce que j’ai entendue sur toute la Lorraine en l’honneur des armées du général, de Castelnau et du général Dubail[2]… » « C’est leur orgueil qui perdit les Allemands… S’ils avaient pu franchir l’obstacle et puis forcer la trouée de Charmes, les opérations de Joffre étaient irrémédiablement compromises et ses armées coupées. Mais, durant vingt et un jours, dans nos villages malheureux et désormais glorieux, les deux armées de Castelnau.et de Dubail tinrent bon[3]. »


Quant à l’opinion générale, elle ne connaît que ce que lui apprennent les communiqués officiels. Que lui disent-ils ?

Le premier Communiqué français, daté du 21 août, 5 heures, signale les engagemens du 24 comme faisant partie d’un ensemble où les événemens du Nord prennent la place principale. Il s’agit de faire comprendre à l’opinion, laissée jusque-là dans l’ignorance, les faits graves qui déterminent le recul des forces françaises sur toute la frontière : retraite en

  1. La Victoire de Lorraine, page 14.
  2. Dans un jardin de Lorraine ; Écho de Paris, du 24 novembre 1914.
  3. La Messe sur les tombes de la victoire, ibid. 1, 9 novembre.