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supériorité — sinon de leur préparation — du moins de leur décision et de leur jugement.

Le grand commandement français, quoique son attention fût retenue si tragiquement par les événemens qui se précipitaient, dans ces mêmes journées, sur l’aile gauche, ne perd pas de vue un seul instant son aile droite, et il ordonne les belles dispositions, communes aux deux armées, qui devaient assurer le succès. Cette vision serait démontrée, s’il était nécessaire, par l’ordre qui met le 8e corps à la disposition du général de Castelnau à partir du 24 ; par l’envoi en renfort des divisions de réserve qui tamponnent, si j’ose dire, la trouée de Charmes ; enfin et surtout, par la série de mesures indiquant une communion d’idées parfaite entre le grand quartier général et les deux chefs illustres qui agissent sur le terrain.

La campagne de France commence par une opération stratégique et tactique du caractère le plus pur, sans, emphase et sans bavure. Dubail barre la route, Castelnau tombe sur le flanc de l’ennemi : il y a, dans cette combinaison de la stabilité et du mouvement ; quelque chose qui sent son Marengo.


On peut se demander pourquoi ces faits si considérables ont été si mal connus jusqu’ici. Je ne voudrais pas incriminer la modestie parfois excessive de nos chefs, je ne sais quelle crainte de paraître glorifier eux-mêmes leurs services, quoique cette réserve qui a ses avantages présente aussi quelques inconvéniens : la valeur des chefs et des soldats n’appartient pas à eux seulement, mais à la nation qui a besoin de confiance.

Il y a d’autres raisons. Les batailles de l’Ouest et la marche précipitée des Allemands sur Paris ont, à ces heures critiques, retenu l’attention générale sur d’autres événemens et sur d’autres parties du vaste champ de bataille. Paris menacé, c’était, pour la France, un danger et une angoisse tels que tout ce qui se passait ailleurs paraissait secondaire. Les personnes renseignées surent bien, dès lors, que le pivot de la manœuvre qui devait assurer la victoire de la Marne tenait bon. La confiance du pays fut, dès lors, inébranlable dans sa « force de l’Est ». Mais cette confiance était instinctive plus que raisonnée et renseignée ; elle restait confuse et n’avait pas une. connaissance réelle de la situation et des succès déjà remportés.

Cependant, les soldats qui avaient assisté aux événemens,