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même les gouvernemens n’avaient été consultés. On ne laissa à personne le temps de respirer. Le tout fut emporté dans le tourbillon de la victoire.

Je reviendrai tout à l’heure sur les conditions « européennes » de cette fondation. Mais je veux insister, d’abord, sur deux ou trois particularités importantes au point de vue spécialement diplomatique, puisque c’est celui que j’étudie en ce moment.

Au cours des négociations tendant à obtenir l’adhésion de la Bavière, la question de l’autorité militaire et diplomatique de ce royaume fut débattue jusqu’à la dernière minute. La Bavière comptait obtenir un agrandissement territorial aux dépens du duché de Bade, qui eût reçu en compensation l’Alsace. Sur ce point, les désirs du roi Louis et de son ministre furent adroitement écartés : une Bavière trop forte eût été gênante. Au point de vue de l’autonomie militaire des États, on aboutit à un arrangement ambigu, qui plaça les armées allemandes sous l’autorité réelle de la Prusse ; — et les États du Sud savent, maintenant, à quel massacre cette concession au militarisme prussien, accordée contre leurs vœux nettement exprimés, a conduit les populations de l’Empire[1].

En outre, la Bavière, dans une légitime appréhension du péril que la politique « hégémonique » prussienne faisait courir à l’Allemagne et à l’Europe, s’efforça du moins d’assurer aux États confédérés une sorte d’indépendance diplomatique. C’était, selon la vue si sage de Leibnitz, la pierre de touche de la souveraineté pour les petits États ; et c’eût été peut-être, — qui sait ? — la pierre angulaire de l’édifice d’une bonne Europe. Il fut entendu, non sans peine, que la Bavière garderait sa

  1. Les populations bavaroises n’acceptaient l’idée de la fondation de l’Empire qu’avec de sérieuses appréhensions. Notamment, le « parti patriote » et conservateur, qui était alors au pouvoir en la personne du comte Bray, garda, jusqu’au bout, des dispositions particularistes qui sont exposées par tous les historiens de la fondation de l’Empire d’Allemagne, Lorenz, Sybel, etc., et que Ruville résume en ces termes : « C’était le parti du particularisme qui attachait de l’importance à la permanence des usages, des mœurs, des institutions locales… On craignait surtout le militarisme ; le bureaucratisme, toutes ces formes rudes de l’Allemagne du Nord, comme autant d’élémens nuisibles… A cela se joignait un royalisme puissant dans le sens d’une royauté patriarcale… Les uns et les autres étaient imprégnés d’un fort esprit religieux… Tout à côté des patriotes, se trouvait le parti dit Mittelpartei, qui passait aussi pour animé de sentimens particularistes en ce qui touchait à la puissance et à l’indépendance de l’État bavarois… Etc. » Sur la politique de Bismarck, voyez l’Histoire de la guerre de 1914, t. II, p. 17 et suiv.