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l’arrêtent aux portes de Mont-sur-Meurthe. Le pont de Damelières est à nous. Réméréville, Erbévillier sont enlevés.

Le corps de cavalerie reçoit l’ordre d’entamer la poursuite et de porter ses gros par la droite sur la Morlagne, vers Deinvillers, avec mission de rafler le pays dans la direction générale de Gerbéviller, Fraimbois, Lunéville, Vallois, Saint-Clément, Einville et de tomber dans le flanc Sud des colonnes ennemies en retraite. Malheureusement, les chevaux, fatigués par deux jours de combat, ne rendent plus, et les Allemands sont trop fortement installés sur la rive droite de la Mortagne ; de ce côté aussi, la poursuite est vite interrompue. Toutefois, le front du 8e corps se dégage, et les troupes françaises voient les forces allemandes se replier partout devant elles.


L’après-midi (du 15), écrit le capitaine Rimhault, je suis retourné à Châtel-sur-Moselle. Vers 4 heures, j’attends sur le pont le résultat du combat, car je sais que mon régiment (le 95e, de la 16e division) a donné. Non loin de nous, le canon gronde ; toutefois, à mesure que le temps passe, il semble s’éloigner, ce qui est bon signe.

Les gens du pays sont dehors, dans un état d’agitation impossible à décrire. La plupart ont fait leurs malles ; certains même, craignant l’invasion, commencent à partir. Des chariots d’émigrés passent sans discontinuer, tous les mêmes, lamentables. Vers 5 heures, les premiers blessés arrivent, étendus sur des voitures de fortune ou au fond de grands camions automobiles ; ils sont poussiéreux, les yeux hagards, ternes ou mi-clos. Sur le pont qui relie Châtel à Nomeny, c’est un encombrement indescriptible.

Je cherche sur les cols le numéro de mon régiment ; enfin je le trouve. C’est un brave petit soldat, tout rouge de fièvre, qui a eu la gorge traversée par une balle.

— Oh ! j’espère bientôt revenir, fait-il.

Les gens qui l’ont entendu lancent une exclamation d’admiration. Je lui demande : « Où avez-vous combattu ? » Il me répond : « A Mattexey… C’était effrayant, mais allez, on s’est bien battu ! » (Mon petit soldat a dit la vérité : A Mattexey, ils se sont bien battus. J’ai eu ce soir plus de détails. La manœuvre du début, pour prendre le village, a été particulièrement brillante, ordonnée, habile, impétueuse. La fin en a peut-être été moins heureuse. Le porte-drapeau du régiment a été magnifique, et, s’il a reçu une terrible blessure, du moins, par un beau geste, il a pu — avant d’être fait prisonnier lui-même — sauver son étendard). À ce moment, sort d’une maison voisine, où siège l’état-major du 8e corps, un officier qui, tout heureux, porte un papier à la main. Je m’approche de lui : « Eh bien ? — Ça va très bien… Voyez plutôt cette dépêche. L’ennemi est refoulé au-delà de la Mortagne. C’est fini, ils n’auront pas la Moselle[1].

  1. Capitaine Rimbault, Journal de campagne, p. 80.